Archives de catégorie : Année 2020

Message à Pierre

 


Nuages mucilages     
au gré des vents du large    
le fanal oscille et cliquette    
en bout de jetée grise.        
 
Naguère nous pûmes à force de bras    
godiller jusqu’à l'entrée    
près des brisants     
où l'écume explose.           
 
Flairons sur le pavé mouillé    
la geste des gens de mer    
leur famille sur le quai    
figée par le destin.        
 
Franchissons à marée haute    
les dernières coudées    
d'avant le feu    
récipiendaire de nos épreuves.        
 
J'avais dix ans    
en bord de cale sèche    
le Normandie avait brûlé    
la vie flottait entre les cordages.        
 
 
562
 

Ce matin le ciel est blanc

 


Ce matin le ciel est blanc    
de cette plainte innommée    
œil turgescent au front de mon obstination    
une main d'amour vient se poser    
sur mon front se desquamant     
à mesure de ces nuits    
où l'ombre oblitère    
les échancrures de ma conscience.        
 
Ecran marial    
mon cœur bondit    
et mon âme s'emplit de gratitude    
dans l'observation de ces paupières    
s'ouvrant devant l'offre de vérité.    
à grands tintements de cloches    
par les coursives de notre navire,    
la mort abolie.        
 
Le crayon signe la commande    
de ne plus circonvenir aux élucubrations    
sirènes remontantes des gouffres    
les algues étranges de la présence-absence    
découvrant à l'aube venue    
le visage et les yeux d'un soleil    
signe de reconnaissance    
de nous tous, en épreuve.        
 
 
561

Le festin

 


Cette remontée en surface    
à même le corps des douleurs    
marcher vaillamment.        
 
Dans la forêt des souvenirs    
les rencontres sont de mise   
rêves et réalités percent    
tel l'insecte hors de sa chrysalide    
nuit et jour sont plus noir que blanc    
tout est couleurs    
tout est amène.        
 
Les enfants tournent en rond
dans la cour de l'école    
aux marronniers les quatre saisons prospèrent    
l'hiver aux bois noirs    
le printemps aux bourgeons collants    
auxquels succèdent les grappes
de fleurs blanches et roses    
l'été aux ombres pleines et bruissantes    
l'automne où remiser    
dans le cahier du jour    
le mordoré des feuilles offertes
autour de leur tige dure.        
 
La roue tourne    
sous ses levées de terre sèche    
contre le cerclage de fer    
l'écaillage des propos tenus
éclaire un sens connu    
les images intègrent leurs niches d'origine    
le goût amer de quelque douleur
vient brunir la prise de conscience.        
 
Il est possible de rencontrer son âme    
de voyager dans l'espace    
de détecter dans ce regard    
la réaction physique contenue    
l'émotion soulevée    
que l'arrivée de la nouvelle donne    
apporte à la narration de la souffrance.        
 
Ce que j'ai cru perdu à jamais est récupérable    
transmettre cette connaissance est important   
avec modestie et humilité     
ramener son âme peut s'effectuer    
dans le contact avec l'autre    
dans le mot à mot des mots essentiels    
un fil invisible alors ressenti    
relie les différents niveaux de manifestation    
auxquels retourner    
avec simplicité et vigueur    
auquel être convoqué    
de faire circuler ce qui est   
trouée lumineuse dans le concert des nuages.        
 
Je décris
et tricote la pièce de laine des altérités
Je suis le miroir     
et le vecteur de l'avancée vers mes origines    
je suis là    
je suis présent    
et l'autre est là     
et l'autre est le miroir de mon âme    
et nous entrons
dans la gratitude infinie de l'échange.        
 
Reste à festoyer
le cœur léger.

      
 
 
560
 

Juste avec le sourire de la Joconde

 


Donne   
ogive de printemps    
au rebond des notes du piano.        
 
De pleines fougères    
manduquent l'ombre et la lumière.        
 
Par la travée    
le jour paraît.        
 
En leurs gravats de nuit    
les souvenirs émergent.        
 
Pierre de sel    
contre la rambarde    
il jouait du flûtiau    
l'homme au masque neutre    
en ses haillons    
mêlé à la tourbe des mots.        
 
De la sculpturale tour    
s'échappaient ses cheveux gris    
effluves lasses    
et taillis secs    
sur les barreaux de l'échelle    
montait à petits bonds    
le rire du sang des choses    
aux murmures     
de la plaine au loin    
vacillante    
à pleines mains    
retenant l'herbe ensilée    
dans la boîte des songes    
aux fuligineux apprêts    
du suave reflux de la gnose émise    
solitaire    
sur le pavé gras des remontées    
mon âme aux multiples élans    
rassemblée    
les ongles sales    
éclairage salace    
elle offrait à tous    
le regard baissé    
les allusions aux baisers    
que l'araigne compassion    
éclaboussait    
par petits jets d'esprit    
sur le miroir    
en fond de salle    
toi la bicolore    
jeune femme aux habits de charme    
que la table ronde saisissait    
par plaques dispersées    
sur le parvis des algues sages    
aux macareux heureux    
soulevés par le vent de mer    
en partance vers l'huître perlière    
amuse-gueule des sorties de théâtre.        
 
Le rêve épouse les plots du plateau    
où faire passer les mots    
juste la recherche d'un petit bonheur 
juste avec le sourire de la Joconde.        
 
( Collage de Pascale Gérard )

 559
 

Les ballerines de l’esprit

( encre de Pascale Gérard )
 


Violettes crocus pâquerettes giroflées    
le jardin s'ouvre à l'amour    
avec la fin de l'hiver.        
 
Les oiseaux croquent    
de leurs trilles agrestes    
l'emplacement possible    
où circonvenir le choc des grêlons    
sur les tuiles romaines.        
 
J'ai cinq doigts    
et me rebelle    
sans maîtrise   
mais fort à faire 
contre l'onctueux repas de fête.        
 
Ma muse est indicateur des fleurs de mémoire    
qu'engage par jeux posturaux    
le reflet des offres de lumière.        
 
Se mirent à l'écart    
la navrance des mères abandonnées    
le rire des enfants endimanchés    
la ruade des chevaux ailés.        
 
La pomme était à croquer    
le vent fera l'affaire    
devant tant d'offres à affronter    
sous le tutu charmant    
des ballerines de l'esprit.        
 
 
( encre de Pascale Gérard )
558

Les mots râlent

 

La morale    
et les mots râlent    
habités    
habilités
à parler au nom de qui de droit    
pas droit du tout    
le binaire est agent de corruption    
devant la déroute du toi à moi    
qui nous campe en la raison.        
 
La complexité    
oui    
la souffrance    
oui par excès de confiance.        
 
Le symposium des idées convenues    
se marie en formes et en ressentis    
avec la dispersion des propos entendus.        
 
Il n'est de pire sourd    
que celui qui croit gérer la bipartition    
et le dit si fort au tout venant    
que le vent emporte son propos    
telle flèche d'argent      
genoux fléchis sous la convenance    
le sifflement brûlant l'azur     
par temps de pleine lune.        
 
 ( Sculpture de Pascale Gérard )
557

neige foulée

 


Neige foulée    
forme svelte à l'entrée de la pâture    
page dure de l'écrit    
le souffle sur le duvet    
vent de février    
sonne l'heure    
au bleu d'un frisson    
de blanche lignée    
ouvrant à grand tapage    
l'ordre des corneilles    
que susurre à l'oreille    
la levée du jour    
sans que lune paraisse    
ma mie    
que le regard darde    
d'un sourire belette.        
 
 
556
 



Viens voix hurlante !

 

Viens    
voix hurlante    
vol de l'ange    
en harmonie    
louve amie de l'homme    
la neige claque ses flocons    
en conciliabule avec l'horizon    
que ferme la nuée.        
 
Passe ta robe    
et me joins    
l'homme au passé révolu    
ma solitude ennoblie    
le son des cloches croise le murmure des errants    
s'ouvre le cœur des tendres    
en accueil de la rudesse des blessés de l'âme.
        
Petites pierres sculptées    
contre le mur de chaux recouvert    
la marche lente sur la neige craquante    
appelle et replie de gothiques écritures    
la muse contre l'églantier    
garantie du sceau des mendiants    
en cette étendue    
de rencontres soulevées    
à merci de l'univers.        
 
 
554
 
 

la vie

 
 
 
      Accepter la Vie, être conscient, 
de cette part de nous-même 
qui cherche à grandir,
à pousser ses limites, à répondre
à une demande, à être en accord
avec ce qui est, par des actions
dont on ne connaît pas 
la complexité causale mais 
qui nous semblent juste sur le moment. 
ça brûle donc je me chauffe ; 
le tirage adapté viendra après.

      Tout est question de distance 
hors la perspective qui seule 
subsiste, une perspective qui 
n'implique pas nécessairement 
la Vérité, mais qui compense, 
qui pardonne, qui donne de l'énergie, 
qui aime et ne nous déçoit pas.
 
      Et si cela navrait toutes les 
incertitudes et nous orientait 
vers la prise de risque d'être 
en responsabilité sans préjuger de 
ce qui se passera !
 
      Il fût un temps de parousie affirmée 
où néanmoins nous prîmes la clé 
des champs, simplement pour n'être 
plus dans le cercle des habitudes 
et entrevoir les dérives du système.
 
      Avec raison et bonhomie au fil de 
l'eau il y eut bien des rapides 
et des chutes qui nous entraînèrent 
vers l'autre côté de soi, 
ce maigre affront à soi-même, 
cette outre emplie des vents 
de l'aventure.
 
      Le destin ourdit des bizarreries, 
le cadran de l'horloge a des 
hoquets de tendresse. S'arrêter 
près de la source aux loups 
prélude à la réflexion de manger 
ou d'être mangé, d'envisager 
le clair-obscur des visitations 
avec sérénité, d'être aux petits 
soins avec sa faim tout autant 
qu'avec son besoin de sommeil 
et de rencontres.

      Un brouillard recouvrit le fond 
de la combe, une bruine amena 
des gouttelettes sur le visage, 
le froid envahissait le corps.

      Un faon sortit du bois 
immédiatement suivi par une biche 
ce qui me remit sur pied contre 
le grand chêne outragé par des 
orages qui avaient entamé des 
branches maîtresses mais dont 
la force résiliente ébranlait 
mon être.
 
      Je repris le service d'ost. 
      Le seigneur m'attendait. 
      Il devait encore pleuvoir des 
grenouilles.  
      Le chemin montait. 
      Je savais qu'après la butte 
la pente serait descendante, 
que la place du village serait 
bruissante de couleurs et de voix, 
qu'une vitalité légère brasserait 
les corps et les âmes jusqu'à ce 
que le beffroi sonne les douze 
coups de midi.
 
      Alors je partirai, le travail 
entamé, escorté des trolls et 
des djinns vers le point de 
non-retour où la mort rejoint la 
naissance, au sanctuaire où tout 
s'apaise près du frêne et du 
tilleul. 

       Prémices du regain de 
la vie.
  
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