L’œuvre est vie

   Au suivi des ans 
 il n'est de trace salvatrice   
 que la rupture avec la frilosité de nos habitudes.
   
 Par temps de vicissitudes des choses humaines   
 les vainqueurs prennent la place des vaincus   
 et les vaincus la place des vainqueurs.   
   
 Il n'est d'annonce mémorielle   
 que le pas de côté   
 qui nourrit notre enfance.      

 Passer sur l'autre rive   
 n'évitera pas de tirer des bords   
 pour enfler le désir.      
 
 Mon bateau est de voiles tendues   
 entre les remous et les coups de vent   
 disposé à cueillir la chair qui défaille.  
    
 L'œuvre est vie.


  528

Si belle et douce et calme

  Si belle et douce et calme.    
Et si profonde aussi.   
La femme reflète bien plus de choses que l’homme ne peut peut saisir.      

L’homme saisit ce qu’il peut.   
Il saisit pour enfouir.   
Il saisit les épreuves qu’il traverse et construit en conséquence un monde d’expériences qu’il anime pour ses besoins aux fins d’exister, de se dire qu’il existe, de montrer qu’il existe.   
Son entêtement à se faire voir, à sortir de l’anonymat, l’oblige à charger le trait de ses représentations, à saillir.   

Alors ceux qui restent aux marges du festin développent un manque, une insatisfaction et un ressentiment.   
  
La femme, elle, agit avec son corps.   
Elle est mère des instincts de protection et donne la vie de chair et de mystère.   
L'avènement de l’être dont elle est matrice marque son territoire et l'immense mémoire des choses vécues. 
Les souvenirs, elle les laisse à l’homme.   
Elle n’a que faire des faits de société entendus, remâchés  et dont le fumet structure l’histoire. 
Elle est la terre et c’est dans cette terre que le mystère s’incarne.   
Elle qui paraît alors être à l’origine de la vie garde en mémoire ce que la vie devient. 
Elle est aussi la réceptrice des choses d’ailleurs, d’au-delà de notre entendement. 
Elle est propitiatoire.   
A la vie à la mort, les gouttes de son sang sont celles de toute l’humanité, elles sont l’effluve grasse de la vie en va-et-vient d’elle-même. 
Et quant il y a naissance, le goût et les odeurs prennent la suite de l’idée et du concept que l’homme pouvait en avoir.   
Elle origine, elle reçoit et fabrique le don de soi en accueil du plus grand que soi.
Elle consume et détruit l’imagerie qui la précède pour se porter en éclosion devant la main de l’homme.   
C’est ainsi qu’elle peut se fondre dans notre monde, dans notre société patriarcale. 
Là, arrivée en expectative d’elle-même elle entre dans un bain de reconnaissance pour autrui, mais à quel prix.   
Toutefois sa puissance tellurique, sa quête obstinée à manifester le fond des choses la fige et la vision qui l'anime alors  l'engage par une posture cataleptique à devenir la proie des loups qui la dévoreront pour l'acquisition de davantage de connaissances.   

Elle est la gardienne du seuil, elle attend l'homme qui se souvenant de la tâche à accomplir saura l'engager plus avant sur le chemin vers une parousie d'éternité. 
    
Elle stimule l'homme, le pousse à se différencier en l'obligeant à ne plus taguer les murs de ses cités par crainte de se voir effacer. 
Elle initie l'homme à sa propre grandeur. 
          
L’homme n’a de cesse que de posséder la femme, de la contenir dans sa fragilité, de la maintenir sous le joug d’une relation inégalitaire favorable à sa domination, à son plaisir, comme s'il pouvait arriver seul à vaincre ses démons. 
L’homme a peur. 
    
La femme brûle, elle est feu et sa flamme peut monter si haut, que l’homme vibrant qui l'accompagne avec respect se souvient ; enfin il se souvient !   
  
L’homme explore ses gouffres par la création, il cherche à donner forme à ce qu’il prend comme une apparition. 
Il est alors hors de lui.   
Il jongle avec son imaginaire.   
Il lui faut donner le change.   
Il plonge dans un flot récriminatoire d'encombrantes pensées ourdies de cristaux provenant des pleurs de l'aube.   
Il œuvre, il peint, il fait de la musique, il chante, il est poète, toutes choses qui ne peuvent que contempter le déjà là, le déjà vu, le beau, qu'il offre aux adorateurs du "même". 
 
L’homme remplit son logis d’or, de pacotilles, de soieries, de sons et de lumière artificielle pour faire de l’effet en surcroît des pouvoirs vrais de la femme.   
Pour palier à l'altérité de la femme il crée l’éphémère, le possible, l’illusion.   
Il bat la campagne jusqu'à plus soif. 
Il impose à la femme ses propres critères dont ceux de la séduction, d’une forme de beauté qu’il espère voir devenir un principe fondateur, une direction pipée par les jeux de l’amour d’opportunité.   
L’homme tente de s’ouvrir à la présence, à être davantage dans le réel, au bord du gouffre, de l’insondable, là où se fait le rien, le vide, hors des illusions perdues, lui qui ne peut jouir que du regard de l'autre.   

Obstiné dans l'idée de faire ses preuves et d'assumer des responsabilités il évite la source des origines.  Il est dans la nuit de l'âme.   
Loin de lui la pointe de la lucidité.   
L’homme, ce mal-aimé, se repaît de virtuel en quête d’une représentation de ce qu’il pressent comme réel et ne connaîtra jamais l'autre, l'âme-sœur.   
L’homme ne se reproduit pas ; il reproduit les conditions de perpétuation de l’espèce en espérant que l’environnement sécuritaire social qui le précède fera le reste jusqu'aux portes du connu.   

Dans les marais recouverts de sphaignes sèches, dans les brumes, il entend le chant des femmes, au loin , comme un murmure alors qu'armé d'outils de découpe il se révèle inopérant devant les formes blanches aux multiples dimensions. 

A trop savoir, à être constamment à l'affût de vouloir comprendre et juger, il se pourrait que nous installions des leurres et passions à côté du cercle des mystères dans lequel personne ne pénètre.   

Que nul n'y entre sans s'être purifié, il se pourrait que nous soyons dévorés.   

L'homme doit réintégrer son propre corps et prendre la femme comme initiatrice. 

    
527

Petite rose des allées à la française

   Petite rose des allées à la française   
était venue par dessus le baldaquin   
tripoter des idées vieilles comme ses chausses   
tandis que par le bas   
se faisait la lessive des corps.   
  
Ça bougeait   
ça geignait   
y'en avait plein les esgourdes   
et la pluie par dessus ça   
tirlipotait un accompagnement fin   
rythmant le ahanement des cavales   
éperdues de liberté   
sur les plateaux ourlées d'herbes rases. 
    
Petite rose mis ses lunettes   
et tout redevint rose   
les fruits   
l'encorbellement des fenêtres   
le chat qui passait par là   
le klaxon du voisin   
l'air même sentait la rose. 
    
Fuir   
non pas   
plutôt se joindre   
telle musique de Lully   
clavecinant sur l'heureux événement    
aux frissons escarbouclés   
des mirlitons de l'enfance   
qui nous mis tous à facettes   
nous les yeux du cyclone   
en proie au passage de témoin. 
  
Petite rose mesure tes pas   
cela ne durera qu'un temps   
femme viendra   
parée de tendresse   
sans esprit de vengeance   
accoucher l'Esprit   
murmure primesautier   
écornant la barrière de corail   
d'une langue   
rose   
en pâmoison du lagon   
royaume intérieur   
où naître et renaître   
dans l'accueil à ce qui vient.     

 
526

La colline aux loups

photo de Caroline Nivelon
   Battue par les vents   
la colline aux loups   
reflète échevelées   
les brumes septentrionales   
de notre chère Nature.     
 
Point d'hésitation   
là est l'Appel   
de la terre vers le ciel   
le tambour vibre   
au passage des oies sauvages.   
  
Sache    
peuple des ondines   
que la Rivière Rouge   
couvre de frais baisers   
la joue tendre des femmes disparues.   
  
Pieds nus sur la mousse   
caresses des bouleaux suspendus   
les charmes font écran   
au bruissement fragile   
de la fugitive aux plumes vêtue.   
  
Il n'est d'avenir   
en forêt de sapins   
aux lichens odorants   
que le déplacement des orignals   
aux craquements des branches sèches.
      
Caresse d'un papillon   
sur la fleur offerte   
à l'emprise de la lumière   
nous rejoindrons le port   
où élargir notre regard.   
  
Aux perforations du feuillage   
sous les traits du soleil   
l'ombre danse   
aux cris révélés   
de nos âmes tristes. 
    
Égarée   
sujette aux tâtonnements   
l'Ombilic des rêves   
la gardienne du seuil   
donne de la voix.   
  
Soyons la Source   
la nature aux trois Rois   
l'Instinct délicat des mécanismes intérieurs   
le Cœur profond en éblouissement de la rencontre  
l'Ouverture de la bouche afin que fleurissent les  mots.  

Marchons vers nous-même   
il n'y a de rupture   
entre l'intérieur et l'extérieur   
que l'inversion du sens de notre regard   
en familiarité avec le Griffon des contradictions
 unifiées.
 
Défilerons les créatures blanches   
vers le sommet de l'Ultime   
en comparution devant le grand Tout   
passage de la lune au soleil   
lieu des nidifications. 
    
Il n'est d'azur qui demeure   
le chant mélodieux de notre volonté   
au souffle de l'Esprit assumé   
qu'un cheminement léger   
sous le dais de notre finitude.   
  

525

Rencontre de joie

De joie   
par cette blancheur   
à grande hauteur   
il allait   
les sandales fatiguées   
bras ballants    
la casquette de travers   
par la sente   
vers la rivière   
retrouver   
son ami le capitaine   
le roi pêcheur   
le fraternel amant   
des simples   
des clairs   
des francs   
sur la rive   
aux violettes éparses   
en ouverture   
du ciel   
des arbres   
des visages   
mon ami le poète   
ivre de réalité   
fragile en son errance   
sensible à l'immense douleur   
porteur d'espoir   
assurant imperturbablement   
la fraternité   
question de ne pas enfreindre   
son rôle   
de faiseur de rêves   
avec ces figurines sorties du sac   
poupées de chair et d'esprit   
comme autant de miroirs   
agencés sur le banc de bois   
en courtoisie de notre rencontre   
où se désencombrer   
toi venu de l'estran   
moi des nuits de solitude   
convaincus   
de transmettre nos valeurs   
sans faire de cobayes   
devant notre maison    
le Monde   
auquel nous devions tant et tant   
l'un   
l'exigence d'amour   
l'autre   
le don du cœur.        
 
 
 524

Petit Pierre est sorti de la boue

 Petit Pierre est sorti de la boue   
 tête reptilienne hors la fange des jours   
 il a mis son calicot d'argent   
 les poches pleines de pierres de lune.    
  
 Filiforme en sa démarche   
 de plain-pied avec tout   
 en accueil de l'autre   
 il a remisé ses outrances   
 sous un paquet d'herbes sèches.
      
 Pierre n'est plus   
 et sa sylve mémoire   
 remonte en gorge   
 tels grumeaux de peinture acrylique.  
    
 Il y a de l'orage dans l'air   
 le beau se baguenaude   
 sur le parvis des cathédrales   
 en contemption de l'offre   
 ce baiser frais sur le cou   
 d'avant la décollation nette.  
    
 Mon âme   
 ce qui fût bon   
 est étale   
 sur le pavage céramique de la nef   
 en reptation ventre contre ventre   
 vers le centre du labyrinthe. 
     
 Jaillissement de la vie   
 en son énergie de feu   
 à élargir la travée   
 nous fûmes assignés   
 à la fine pointe de l'élan.   
   
 Petit Pierre   
 mon fils de la terre   
 à creuser de mes mains vieilles   
 en construction des allers et venues   
 de gratitude scellés   
 tels des clous de fer forgé   
 dans le bois de l'olivier. 
    
 Pierre
Je te dois le bourgeon des commencements.   

   
  523

d’opulents cumulus

   D'opulents cumulus   
ont éclairé la nuit   
d'un fertile orage   
couperosé d'éclairs cinglants.   
  
De la lueur dans les tubulures   
à remonter le temps,   
au vestibule des outrages   
la nature est belle   
à qui sait regarder par la fenêtre   
en demi-saison   
d'automne approché   
à la sécheresse d'été   
faisant tapis de feuilles craquantes   
le sourire plein du partage.        
Le matin fût dispendieux de vitalité,   
les cloches de l'église se crurent à Pâques,   
les coqs s'égosillèrent,   
l'âne se mit à scier   
de son passe-partout rouillé   
la traîne de l'ombre,   
les tourterelles bénirent de leurs roucoulades   
un ciel enamouré de nuages rosissants,   
ô soleil !   

           
522