La Belle Ouverture

De la Belle Ouverture
Écartée des dix doigts
Entre la douceur des joues
Et les larmes de joie
L’à-plomb de qui aime
Passe passe passera.

La brume murmure
Casse-noisettes du blanc sommital
À effrayer le lièvre de mars
Parfaite soumission
Amenuisant le fondant de la neige
Par-dessus la dent du chat.

Palmée
Ourdie des mille traits de l’esprit
S’ouvre la vie
Où lire était le seul plaisir
Bien avant les rougeurs de l’aube
Où survivre tel poisson dans l’ornière.

Aïe !
L’initiative reine
À la dégaine furtive
Renâclant en bord d’abîme
À évaluer l’épaisseur de la paille
Pour âne au repos.

Livrant tunique
En sa générosité
La nuit détale
Hautes bannières au vent 
Pour entendre rire 
Le lagopède des lieux.

S’asseoir
Ouvrir le sac
Festoyer de vin et de sifflard
Grappiller quelques myrtilles
Le menton entre les mains
Attendre que ça passe.

1437


À la mémoire de Luis Jorge Borges

Le coq de bruyère
Sur ses ergots levé
S’est épris de la poule des bruyères
Juste pour chagriner
Les eaux du torrent ténébreux.

S’y est pris de si tendre manière
Qu’inoculant par le travers
Quelques mots d’amour
Il a franchi la ligne rouge
Sans oublier les chagrins du siècle.

Massacres massacres
Les fleurs restent belles
Le danseur de tango tanguote
Le Grand Voyage est pour demain
S’envolent les restes fanés de la désinvolture.

Assigné à résidence
En galopant au triple galop par la pampa
L’Étrange aveugle aux pommettes saillantes
S’est très tôt souvenu
Que les trésors d’émotions n’amassent pas mousse.

Je ne puis le sauver 
Des abrupts ravins de la complaisance
Lui le parangon des gauchos
L’animateur désopilant du marché aux volailles
Qui a tendu la joue à l’arbitraire de la réalité.

Il survivra au trompe-l’œil
De ses éructations singulières
Quand poussant le travail herméneutique
Vers son infinie complétude
Pouvait s’élever de la pampa l’odeur des viandes grillées.

La métempsychose l’aligna contre le mur
À pourfendre quelque chose de plus
Que la contemplation des origines
Cette assignation
À « ne pas être davantage que quelque chose ».
 
Quel âge avait-il
Quand il fût relégué dans la fosse commune
Des symboles de la Nation
Lui l’enquêteur méticuleux
Lui le pourfendeur des colonels.

On le trouvait parfois
Sous le grand arbre près du corral
À souffler sur les génies de la compagnie des anges
Alors que derrière la barrière
Figurait à cheval le Bon Père des égarés.

Le vagabond à la plume agile
Savait dépeindre le bourreau et la victime
Sans dévoyer d’où il tenait la consigne
Si ce n’est de l’admirable bibliothèque de Babel
Que des contingences l’obligèrent à ne pouvoir lire.

Funambule du phylactère
Le tenancier de l’instinct
S’était même permis d’inventer Internet
Quand d’autres coreligionnaires
Œuvraient dans la misère.

Shakespeare est à sa porte
Et que les brumes m’emportent
Si le minotaure sorti du labyrinthe
Fait à Luis Jorge Borges
L’honneur d’émettre le cri d'un dernier écrit.

1436

( Œuvre de Jean-Claude Guerrero )



Uniques pour la grâce

Triptyque de l’Orient
À mille lieues des côtes
Douleurs nimbées de gaze
Sans répit au milieu des flots
La houle déroule son âme.

Chevaucher le nuage n’est pas mince affaire
Tout comme se faire pousser des ailes
Quand l’Immaculé de nos orifices
Déplie sur le mur cardinal
L’abondance fourchue de nos langues babillardes.

Unique obstacle à la stabilité
L’heure est à l’herbe rase
Pour une obscurité proposant ses brouillards
À la cause entendue
D’avoir été fidèle.

Il faisait froid dans cette pignatelle
Sans toutefois voir l’horizon
Il avait été convenu
De faire face à l’instant
Au printemps d’un vert naissant.

L’herbier magique
Recroquevillé au fond de la malle
Laissait paraître
Par lune bien ronde
Le cœur méfiant de demeurer seul.

La cardinalité du lieu
Abhorre les grumes rêches
Disposées en désordre sur la raspoutitsa
Douces fleurs éloignées à jamais
Des codicilles de la plainte.

Le faire-semblant de la retraite
Entraîne nos vulgaires histoires
Vers la mire des larmes 
Pendant que caquetant à l’encan
Passent les oies sauvages.

Pauvres marionnettes
Décapsulées avec les dents
L’envie les prit
De soulever par le travers
Les piles du pont à la dérive.

Vivre cupide
Se vêtir au fil des ans
Augure triste passion
Quand vont et viennent 
Les mâles sentes de la faribole.

Uniques par la grâce
À faire courir la main
Sur le dévers d’une peau de chèvre
IL nous fût aise
D’entrer dans la hutte des fumigations.

Abrupt péril
Des senteurs océanes
À la vue des nues se déchirant
Apparut diverticule de l’action
L’espace vide de la présence.

Refermer l’ouvrage
Se fera au grand carrefour de l’air libre
Face à l’azur
En attendant foi de marin
Le moindre atome de bon sens.

1435

( Œuvre de Jean-Claude Guerrero )

Le koan éclaté

D’un grain l’autre
À fendre la lumière
L’attelage du profond des grottes
S’est arrêté à point nommé.

Petits cailloux aux gorges déployées
Ont poussé leurs coursiers
Par le temps libéré
Sur un édredon brodé.

Courez messieurs de la haute
Ou bien légiférez parmi les nues
Trognes hirsutes
Émergeant du bouge aux lanternes fêlées.

Le lit couvert de livres
Avons conçus un éboulis
Ressassant par le menu
Les contes et merveilles de la parodie.

Mille miroirs aux vertus glissantes
Retenaient le quartz redondant
Pour fil à fil
Lisser le filet aux oiseaux.

Et je prêchai prêchai
Que le Bon Père
Ne courrait plus après l’apprenti-solitaire
Affublé de branchages et de mousses.

Le ciel est ouvert
Blanche tunique apparue
Sur le saisissant printemps
Me claquant le visage au vent.

Proche de l’aube sapientiale
Qui tarde à s’élever
Le sentiment d’éternité
Rapièce un koan éclaté.

1434

Sur les rouleaux d’écrits

Sur les rouleaux d’écrits 
En bord de plage
Vous fûtes marmoréens dessous mon arbre
À me conter douce chanson
Dans le bruissement des pins.

Signal de l’Essence
Raffermie puis rajeunie
Vous nous aviez regroupés en fond de grotte
Près de l’âtre sacré
À voir flamber le bois flotté.

Assis quasiment tout le jour
J’avais scruté les pensées de mon siècle de vie
Inquiet que je suis
Avant que le gazouillis des oiseaux
Donne béquille à mes sens.

Toujours perdre sa route
Quand pleure la rosée
Et que par les herbes courbées
Demander à l’ombre
« Que suis-tu ? »

Viens
Et me lèche
La plaie sur ma tempe
Pour qu’importe où nous mènent nos pas
Nous envelopper de brumes.

Sur le pieu
À même le lignage frotté au sel d’écume
J’ai clôturé la trêve
Pour quincaille passée des huitriers
Discourir de la sorte.

Au bout du compte
Penser seul
Et mourir seul
Fusionnent en perfection
Bien au-delà des attitudes mentales.

Dans le cœur de l’arbre
Dans le cœur de l’homme
Sommeille l’obscur précipité
Des années passées
À reconstruire la ville.

Le mufle attire le mufle
Par de broussailleux baisers
Pour épousseter nos craintes métaphysiques
Prêtes à la reddition
Au Drap d’or.

Le bûcheron peut cogner
Le bébé brailler des « areu »
Le soldat faire claquer ses souliers ferrés
Je bats des mains
Au passage des bruits civilisés.

Les yeux exorbités
Se sont fardés de grains de sable
Pour accueillir non sans émoi
Les compagnons du matin
Mains sur les reins.

Les chiens m’ont pissé dessus
Les affaires ne marchent pas
Le matin nous boirons du vin
Et le soir faites que détale vers les hautes terres
Le « sans-pensée » dans la « pensée-même ».


1433

Poème andalou

À trois c’est mieux
De manigancer l’entrée en matière
Quand s’ouvre l' "Histoire intime"
Et le "Pourquoi bat mon cœur"
Aux offices souterrains de notre complétude.

À trois c’est mieux
Pour toquer gravement
Puis se mettre en quatre
Et  proposer les figures imposées
Du poème Immortel.

Les hommes ! Quelle puissance
Quand des êtres sortis des planches anatomiques
Qui là-haut à cours de chapelure
Ont béni le ciel à force de leur souffle 
Comme bêtes enragés.

Plantés là
À la porte du lieu des connaissances
Ils avaient préparé leur affaire
Quoique rien n’y faisait
Le dragon ne voulant pas sortir.

Le meneur
Le "Clandestin éblouissant"
Le seul Egyptien
À l’Esprit triangulé aux neurones serpentiformes
Arguait de son instinct.

La frissonnante "Désir d’éternité"
De ses yeux aux pleurs fines
Minaudait un semblant de compassion
Dans l’attente de l’ouverture 
De la liberté à l’état absolu.

Le troisième élément
D’un préparat ignifugé
Appelé "Le Recueilli"
Baignait dans l’atmosphère ambrée
Pour la rencontre providentielle.

L’ "Histoire intime" s’ouvrit
Pour s’offrir, lui, Yasunari Kawabata 
À la vindicte populaire
Lui, le transcripteur
Des états de spiritualité.

La stratégie était de dénoncer
Les lieux du plein emploi
De l’errance obligée
Au théâtre cruel
De la réalité rêvée.

À droite le "Pourquoi bat mon cœur"
En désordre amoureux
Dessinait son désir
Importe peu
Que règnent les désenchantements.

Par éphémère danse propitiatoire
Faire résonner le génie des lieux
Dans l’insolite tour de Babel
Aux apparences rassurantes
Crée l’incertitude identitaire.

C’est ainsi que vivent les hommes
À planter les racines du bien
Près des charbons ardents de la déraison
Pour que d’un coup
Le poème puisse s’enfuir à tire d’aile.

1432

Le frêne et le poète

Le frêne monta vers le ciel
Comme le crapaud sur la lune
À blanchir ses pensées
Alors que vers l’horizon
Les andins disparaissent.

Au pied de la maison
L’absence de conscience
Accentuait ce qui se passait
Réalité révolue
En instance d’un discours intérieur.

D’aller par petits sauts 
Le long de l’allée
Procure au moineau du buisson
Le besoin de courir le guilledou
Dans l’accomplissement de sa journée.

Graver son nom sur le tronc
Histoire drôle à gaver de gloussements
L’outre d’opulence d’un couple
 À usage unique
Par temps de mésusage.

Un jeune enfant s’installa sous la ramure
Un vieil homme passant par là
S’enquit de la couleur des lichens
Sans que l’enfant lève la tête
Passez muscade !

Béat de petites cervelles mûres
Les samares en forme d’aile
Quittaient les grappes
S’en allant compléter le gruau
D’un sourire de mission.

Foulèrent la prairie
Les enjambées de la bergère
Victorieuse d’avoir convaincu la majorité du troupeau
De troquer quelques moutons
Pour un mouchoir agité au vent.

Pipistrelle la belle
Livrée à la foule en délire
S’en vint à pleurer
Quand dépourvue d’insectes
La mort givra le plâtras des murs.

Jeune damoiselle
Installa sa balancelle
Pour se pavanant en toute simplicité
Dans le brouillis-brouilla de la ramure
Faire sortir le loup du bois.

Le poète en chapeau de paille d’Italie
Sur sa chaise canée
Dans l’ombre épaisse du feuillage
Se mit à clamer réclamer déclamer
Quelques bourgeons de saison.

L’émotion vient
L’inquiétude me vrille
Serais-je encore un refuge pour les oiseaux ?
La Voie est longue
Et le temps impitoyable.


1431

Le claustra

Psalmodier les lectures sacrées
S’effectuent en fond d’abîme
Où se soustraire aux empêchements
Afin de tomber sur le sujet
Un sujet sans dedans ni dehors.

La quête de ce qui fait l’intérieur de l’être
N’empêche pas de se montrer errant
En bord de rivière pure et lumineuse
Avec pour seule preuve de vie
L’indolence et l’indécence de l’absence.

Reste cette émotion en fond de gorge
La porte des granges ouvertes
L’accueil par l’averse dispensée
Au goutte à goutte des pensées tombant du toit
Les pieds au sec.

Ce qui m’afflige
Ce sont les raboteux sentiers de la mémoire
Trémolos de paille à tout vent éparpillés
Bien lourds à porter
Pour qui s’essaye à battre monnaie.

Ne mourrons pas après chaque échec
Le monde est grand la terre est grasse
Les fleurs de l’amandier s’envolent
Derrière le claustra
Où toute leçon est à prendre.

Au-dessus le ciel sans conscience ni inconscience
Au-dessous dans des chaussons ronds la frilosité
Et pour rendre encore plus tactile l’existence
Des baguettes d’encens
Entre les doigts gourds.

Avant que l’esprit se livre à l’illusion
Passons par la recognition
L’accueil des éons de l’enfance
En profondeur de ce qui n’a ni face ni dos
Ce dormant quand fenêtres absentes.

Dans un ciel bleuté
Rien d’autre que mon cœur
Avec pour lampion
La lune
Ensemble que jamais ne navre l’ombre proprette.

Certains jours
Je rassemble quelques morceaux de bois
Pour l’hiver tôt venu
Faire bûchettes dans le feu de l’âme
En l’instant inexistant du non-agir.

Danse des lucioles
Au fil de l’âge
Entre la pierre et le feu du foyer
Monte le crépitement de la flamme
Haute parure pour l’homme aux cheveux blancs.

S’ouvrir par les cinq sens
À la pointe de la plume
Comme emballer l’os dans de la peau
Occasionne vive lumière
En instance de l’envol.

Braver le qu’en-dira-t-on
Boire en chantant
Le ventre rempli
Sachons caler cette merveille
Dans l’anfractuosité du poème.

1430


Un matin de brume

Tension vers l’avant
Des lignes directrices
Dont l’humeur vagabonde
Fait cligner des yeux.

Près de la petite hutte
Par derrière les colonnes
J’ai plaqué les nuages du jour
Sur l’adret des maisons bourgeoises.

Tu avais mis ta chemise à trous
Et ton corps étendu sur la chaussée 
Comme un âne mort
Effritait mes sanglots.

Même les chatons ne revoient pas leur mère
Au gazouillis empoussiéré
Des siestes quotidiennes
Leurs yeux brillent comme cerise fraîche.

Point de plume bleue
Juste le vert et rouge des feux de circulation
Pour vous frôler noble damoiselle
Le cœur en émoi.

Rester coi
À séduire le froid des rails
Quand la dalle résonne
Sous la botte ferrée du grognard.

Tout fuit
Même la couleur des cheveux gris
Ma femme d’encre violette
Recouverte d’un trop de givre.

Puis, figé
Sous le trait d’un merle en colère
J’ai consulté ma montre
Mon trop de vent aux persiennes claquantes.

Je rentrais
Mes forces avaient fui
Je stoppais pour me retourner
Elle ne me reconnut pas.

Autrefois
Les soucis nous occupaient à la veillée
Et maintenant ils nous guérissent
Du mal d’avoir à vivre en automate.

Immense tristesse
Quand perdrons-nous
Le bruit du tram et sa directivité métallique
Sans discourir de la sorte.

Je ne peux être
À grand peine chétif et exigeant
Que le pas de deux
Sur le parquet craquant du salon.

1429

L’arbre qu’on ne coupa jamais

Sur le chemin de la fontaine
Il y a cet arbre qu’on ne coupa jamais.

Et sa souche en prise sur le pas à venir
S’écarte en arrière du piétinement.

La ferrure des roues 
Lui a fait maintes blessures.

Les bêtises du passé
Il les oubliées.

Pour embellir le talus
Il s’est fondu dans la végétation rase.

Au mépris du vulgaire
Il a développé l’amour de la sainteté.

Une douce brise peut le rafraîchir
Pendant qu’il recueille la fiente de l’oiseau.

Ses lèvres s’écartent
Pour exposer le profond de ses entrailles.

Parfois au clair de lune
Grogne le sanglier à la trogne hirsute.

Il n’est ni fou ni sage
Juste le pas-savoir grand chose.

Quelques gouttes d’eau tombées du seau
Font scintiller ses lichens.

Pour qu’il sourit
Il suffit de s’asseoir dans sa corbeille

Parfois un couple s’arrête devant ses bras ouverts
Débordant du désir de s’unir.

Il préserve la vie
Lui le résilient de ce qui précède.
 
Il est en quête de vérité
Comme une bulle d’eau tombant sur l’herbe souple.

Il ne fait pas de bruit
Contraint de préserver ce qui est.

Quand il semble se débarrasser de la nuit
C’est que la rosée l’humecte de baisers.

Lui, l’irrévocable athlète
Il est le chantre de l’irréversibilité et de l’incommunicabilité.

Il est attendu
Et ne pèse pas sur la suite des idées.

Lui, aux sens aigus
Du passage au temps coulis de l’instant.

Lui dire à l’oreille dans les petites feuilles du haut 
Que l’origine est sujette aux transformations imprévues.

Toi, en pleine disponibilité
Toi, le mandala où s’affirment les racines de bien. 

1428

La présence à ce qui s'advient