Petit papa

Tu n’en finis pas de partir .

Parfois quand de noirs nuages s’amoncellent et que la déroute plante son drapeau noir, ton cerveau se brouille, tu cries. Un cri au-delà de la douleur et de l’appel. Un cri aux causes abyssales. Un cri de personne humaine en proie à une rencontre improbable. Un cri qui dérange notre entendement habituel. Un cri outrancier qui veut nous montrer quelque chose. Mais quoi ? Qu’as-tu vu ? Quant à tes émotions, je n’ai pas la clé pour les décoder .

Tu erres dans ces contrées entre chien et loup, là où la grisaille d’un hiver saturé de givre grapille des images d’antan, où les vapeurs du marigot des origines modifient la conscience, là, où se croisent hallucinations et visions .

Tu es entre la vie et la mort mais la vie est la plus forte, même dans le dernier voyage, et c’est ce qui nous permet de ressentir la fragilité de cette vie, son visage unique et que fort de cette expérience ultime nous soyons de chair, d’esprit et d’âme les transcripteurs du grand mystère, nous les innocents, nous les adeptes de l’Emerveillement .

Tu cries et je t’entends au travers des couloirs de cette maison de retraite que tu n’as jamais pu faire tienne, tant ta difficulté à communiquer et à t’adapter était grande .

Ce ne sont plus des « Madame ! » que tu profères mais de longs gémissements qui montent du profond de ton être pour s’adresser à quelqu’un d’indéfini, que tu ne peux nommer. Te sauver d’un danger ? Te soulager ? T’aider à franchir cette épreuve, ce bouleversement de l’être qui s’enfonce dans le labyrinthe fait de traces mnésiques et d’impasses ? Tu ne sais pas quoi demander, ta main décharnée serre ma main. Tu ne me demandes même plus de revenir chez toi, à la maison .

Tes fonctions vitales se sont réduites au manger et au dormir, et quand je m’éloigne ta plainte prolongée broie ma poitrine comme dans un étau et essore mon coeur .

Quant je te quitte après t’avoir embrassé, j’ai l’impression que ce sera la dernière fois ; et puis je ne reviens pas en arrière car je ne sais pas quoi faire pour t’aider, pour te rassurer, pour te calmer. Lâchement je t’abandonne, et alors je culpabilise !

Dès que je quitte l’étage où tu résides et que l’ascenseur atteint le Rez-de-chaussée, je n’entends plus tes cris mais néanmoins ils continuent de résonner au plus profond de mon être. Je suis abandonné. Je suis laissé de côté, moi le mal né … comme toi peut-être. J’essaye de me faire à l’idée que je n’ai  plus de papa, je suis triste, je suis bouleversé, une grosse boule monte de mon ventre. Je me calme, je gère la situation tout en subissant un arrachement viscéral. Tes cris me suivent quand je médite, quand je marche sous la pluie, dans le vent, sous le soleil et j’entends ta voix m’appeler, doucement, très doucement telle une caresse, ta caresse, que tu me prodiguais quand dans mon petit lit d’enfant j’avais tant de mal à m’endormir .

Tu ne demandes expressément plus d’aide, tu sembles nommément ne plus demander de nouvelles à tes enfants. Tu es seul et le brouillard qui t’enveloppe suggère l’envol des corbeaux par un matin d’été frileux dans les hauts arbres qui bordaient le canal à Briennon .

Tu es là à attendre qu’une porte ultime s’ouvre dans le mur de cette chambre que tu n’as jamais investie. Tu es le passe-murailles d’une occasion à ne pas manquer. Tu attends un dernier train qui siffle dans le lointain mais qui tarde à apparaître. Tu n’as plus rien à donner. Ce qui t’appartenait ne t’appartient plus, ce qui était ton chez soi, tu en as été dépossédé. Ton appartement a été occupé, la vaisselle du dimanche et des jours de fête a été éparpillée, même ta signature a été copiée. D’espoir, point. De sourires sur ton visage, point. La trompette dont tu jouais à été offerte à l’enfant d’une soignante. Ton dernier bagage est bouclé, et puis d’ailleurs ça fait bon temps que tu n’as plus de bagages. Tu as donné, … nous avons pris .

Parfois, dans des moments de lucidité, tu as pu demander que ça avance un peu plus vite, que la fin du tunnel s’ouvre sur la grande lumière terminale, à ce qu’on dit. Mais le sais-tu ce qu’il y a après ? J’aurai tant voulu que nous parlions de ça. J’aurai tant voulu que tu prennes cette initiative… Et c’est maintenant que j’entends, que je mesure tout ce qu’un père est en capacité de donner à ses enfants quant il a la conscience de s’inscrire dans la grande chaîne des générations et que sa propre vie, unique et sacrée, est au service de l’autre .

Peut-être que ce sera cette nuit. Peut-être dans quelques jours. Devenir froid. Que les os se cassent comme du verre. Que le sang ne circule plus. Que l’immobilité soudaine soit un soulagement après la souffrance. Que le tic tac du pacemaker fasse un bruit d’enfer dans ce corps inerte .

Le véhicule noir n’est toujours pas arrivé. Mais que font-ils donc tous ces soit-disants vivants à boire du pastis, à jouer à la belotte, à se vautrer devant la télé,  alors que ça gèle en bord de banquise !  » J’attends, moi, le corbillard ! « 

Je me souviens du tour de France que nous étions allé voir avec Charlot, dans les années cinquante. C’était une étape contre la montre. Le dernier coureur à passer était Anquetil qui avait le maillot jaune, et puis derrière avait suivi la voiture-balai. La fête finie, nous étions rentré par le train de Versailles pour descendre à la station du pont Mirabeau et rentrer à la maison par l’avenue Emile Zola. Je tenais à bout de bras un sachet de papier contenant quelques menus objets publicitaires que j’avais réussi à attraper aux passage de la caravane publicitaire. Il faisait beau, un soleil de juillet jouait avec les feuillages de l’avenue. J’aimais ce passage de l’ombre à la lumière et je sautais sur les plaques de fonte ajourée qui entouraient les arbres. J’étais heureux d’avoir passé un moment avec toi, papa, mon petit papa… Et cette voiture-balai qui se fait attendre !

Il y a quatre ans et demi, quand maman nous a quitté, je suis resté avec toi une semaine rue de la Jarry. C’était la dernière fois où j’ai été véritablement proche de toi. Tu ne m’as jamais posé de questions autres que strictement matérielles. Jamais tu n’as pleuré. Jamais tu n’as évoqué spontanément quelque souvenir. Si tristesse il y avait tu ne me l’a pas montré. Je faisais le « délicat » avec toi pour ne pas te faire entrevoir mon profond désarroi et je ne t’ai pas poussé pour que tous deux nous pleurions à propos du départ de notre femme et mère. J’avais peur que tu t’écroules. Je mesurais déjà dans le silence que tu montrais – c’est toujours moi qui engageais la conversation – que ton état psychique était troublé. Tu semblais ailleurs de tout ça. Ton manque d’émotion me faisait froid dans le dos. Je n’ai pas su trouver les mots qui t’auraient fait te dire, te contacter dans ta sensibilité. Je savais que tu étais déjà un peu parti .

Le 23 juin, date anniversaire de la naissance de maman, je prierai pour toi, papa. Que tu sois de ce monde ou ailleurs peu importe, tu n’es déjà tellement plus là. Ton départ, tu l’as anticipé depuis longtemps. Tu as vendu la maison de Saint-Flour comme pour clore un épisode de ta vie, comme pour brûler ses objets familiers parce qu’après toi il n’y aurait rien, rien que des étrangers qui fouilleront dans tes affaires, rien que des envahisseurs qui vont tout saccager. Tu n’as pas insisté pour que nous gardions cet ancrage familial. Tu nous as donné l’argent de la vente sans te retourner, sans prononcer de discours. D’émotions, point ; comme si quelque chose de toi était mort depuis bien longtemps. Tu étais déja sur le départ. Dans les semaines qui ont suivi tu as eu un grave ennui de santé dont tu t’es heureusement sorti. Et depuis tu attends la suite. Ce n’était pas ton heure. La ligne de démarcation passée, tu faisais comme s’il ne fallait pas se retourner. Question de vie ou de mort ? Fuite en avant ?

Dès lors que la terrible sénilité t’accable, que tu n’as plus ta tête, que la trinité de la dépression, d’Alzheimer et de la démence nous oblige à l’épreuve que nous devons traverser, toi et nous trois tes enfants qui sommes ainsi convoqués en tant qu’êtres de conscience et de compassion, de vulnérabilité, de transparence et de sang-froid, de réflexion et d’entendement à ce qui est ; nous nous devons d’être les témoins du grand oeuvre de la vie et de la mort pour nous soutenir dans l’accueil et l’entre aide afin de prêter main forte à ceux de nos proches qui en ont besoin. Nous ne devrions rien avoir à nous cacher. Nous devrions rester unis. Nous devrions nous parler. Les non-dits n’engendrent que repli sur soi, rejet et méconnaissance de l’autre et bien du malheur à nos enfants et petits enfants par l’ombre qu’ils jetteront sur notre mémoire collective .

Quand j’entends le glas de la finitude au clocher de l’existence, j’écoute, je vois, je suis triste, je pleure, je suis seul et ma solitude je la consomme avec mes proches, je la partage avec les miens que j’aime et qui m’aiment. Je la mâchonne, je la distille, je la « manduque », cette option absolue de finitude, pour qu’elle me nourrisse et m’aide à croître .

Oui, je prierai pour toi, pour t’accompagner, pour te soutenir, toi papa, corps et âme associés, pour parcourir avec toi ce chemin qui va de chez toi au cimetière où demeure maman .

Papa, je te promets de faire mémoire de ton histoire de vie, et d’honorer cette esquisse existentielle qui tu m’as transmis afin de faire fructifier la vie que tu m’as donnée, afin que fleurisse cette envie de faire plus que ce qui nous a été donné. Et ce, afin que cela soit de « la  bonne ouvrage » utile pour ceux qui nous suivront .

Il est un temps déraisonnable où l’on met les morts à table pour un dernier repas, hors faim et soif matérielles mais plein de faim et soif symboliques et spirituelles, afin de recueillir les miettes de vie qui nous permettront de grandir sur notre chemin de connaissances et de sagesse, de donner sens à sa vie et de s’effacer en osmose d’amour devant ce qui est .

Papa, dans ta démence, émane une aura où affleure, pure et limpide, une valeur profonde. L’ego brisé cède la place à l’essence humaine. Et pour celà tu es précieux .

Le 23 juin, je penserai à maman, je penserai à toi papa, je penserai à vous deux, mon frère et ma soeur, et ferai promesse de vivre ces dernières années qui me sont imparties, le plus simplement possible, dans l’écoute, la pudeur, le respect de la personnalité de chacun, le soutien et le conseil, à tous ceux qui seront en difficulté .

Nous ne devons pas nous faire de mal et avoir le courage d’échanger, d’entrer en contact avec nos proches, avec autrui, même si cela semble difficile parce pas très habituel dans notre culture familiale. Le silence s’il peut être régénérateur de soi à soi dans la méditation et la contemplation, est néfaste quant, se transformant en mutisme, il éteint la lampe de l’espoir .

Et puisque par chez nous tout fini par une chanson ou un mot gentil, disons qu’il ne faut pas peser ni sur son prochain, ni sur les autres, ni sur cette terre pleine du mystère de la création pour que nous, les « vivants en marche », demeurions en communion avec l’Autre qui reconnaîtra que nous sommes tous frères si nous nous aimons les uns les autres .

140

au gré des ormes

 Ce carrelage fait d'hexagones rougis .
Cette allée d'arbres bruissante d'un printemps pluvieux .
L'escalier à la rambarde de fer forgé .
Ce jour par dessous la porte de la chambre qui laisse monter les éclats de voix provenant de la salle du restaurant .
Ces fenêtres avec leurs ferrures  à l'ancienne .
Ce volet de bois mal fixé qui bat contre le mur quant une rafale de vent se lève .
Telle l'armoire avec sa vitre miroir d'un temps entreposé . 

Être là
à l'ombre des choses en place
assis dans le fauteuil défoncé
des entrelacs d'idées mal négociées enturbannant mes pensées
souvenirs psalmodiés par une petite voix intérieure
je pris mes cliques et mes claques
boîte à images et carnet de moleskine
pour aller péleriner aux effluves d'antan .

Froidure et pluie métamorphosaient le sombre de l'air en plein après-midi
discret passage à cet état d'écoute permettant d'être dispos
pierre sur laquelle bâtir la cité des frères
Jérusalem céleste sans ses anges rendus visibles
Jérusalem juste existante pour accueillir le marcheur d'âmes
en quête d'un détour probable vers l'état prémonitoire des repentances
en quête de souffle et de lumière sur lesquels chevaucher
chercheur rendu à sa besogne
l'arceau d'un jeu de croquets alors obsolète
devant la maillet de la vacuité
le fomentateur des rencontres désirées
celles que la disponibilité sans attente permet de faire éclore
même au déplié des heures creuses
alors que monte d'entre les frênes et les ormes le chant froissé  de pluie et de couleurs mêlées
au jardin lumineux et parfumé
phrasé de pleurs en printemps
à la confluence des charges sonores
d'une eau rageuse raclant de galets invisibles
les marmites de géants .


139

Burzet

 De l'eau
de l'eau à foison
assignée au feulement incessant d'un chuchotis animal
froissement d'une voix contre la paroi de basalte
gouttelettes de perles au diapason d'un son guttural 
claquement des mains velues contre le roc ensanglanté.

S'élève la monocorde allégeance
le faisceau continu
la plainte stratifiée des écobuages de la cité .

S'exprime l'alphabet en ses dissonances
ces frères dont la pratique artisane
fut emportée par la burle
vers la vallée des permissivités .

Seul le son d'une cloche
par dessus le courant d'eau
manœuvre à l'appel
les hommes de la magnanerie
alors qu'il fait encore noir
par ce matin d'hiver à traverser ce pont de bois
les sabots frappant de leurs ferrures le seuil de l'atelier .

Heureux événement
que l'arrivage des ballots de soie
hérissés de mille fils irisés
hors la grossière toile de jute
à l'arrêt comme hésitante
d'entrer dans la goule
où le mâche-menu des ferrailles associé au crissement des éraflures
gargouillent du lissage des textiles fins .
Maraude instantanée
du garçon derrière le bâtiment
ramassant vivement la musette pleine
posée sur le banc poisseux du vestiaire
le temps d'un saut dans l'ombre
hors du ravin des attendus
pour se retrouver ivre libre
le cœur battant
sur la sente caillouteuse
hors la promiscuité du bas
et haut les cœurs
apporter en la chaumière sans feu
les noires stries
d'un à-jour imprimé
sur le pourtour de son visage
de châtaignes et d'oignons
oings .

Message hors âge
des floricoles levées d'esprit
des génuflexions lasses
sur le chemin des trois croix
entre le Golgotha et la finitude de Marie .

Les femmes saintes seules admises
à retenir par le bras
les mâles de passage
pour un sourire
ameutés
disparaître dans le taillis
à la recherche de l'argousier
qu'ils feront suinter
sur la pierre des fièvres
histoire de se mettre en marche
sans compte à rebours
sur le chemin coquillard .

Les femmes saintes seules admises
en progression lente
vers l'amour et la compassion
chargées des brassées de genêts dorés
à la mesure des hautes portes des granges
enfouissant sous leurs amples jupes
les crânes des trépassés
les reins ceints d'une étoffe
si rouge
que le soleil levant
de par son disque iridescent
évoque le saint chrême de l'onction du mercredi saint
celui des faiseurs de jours
pour peu que la mise soit permise
sur le suin safrané
de la jument grise de maître Cornille
ébranlé de plaisir
à la vue de cette farine si blanche
que le puissant déplacement de la meule
pierre contre pierre
fait s'envoler
au gré des trilles du merle
au petit jour
d'un matin de mai  .


138

mon amie

De t’avoir rencontrée me remplit de joie, toi, différente de moi et pourtant si proche .

Tu m’accompagnes et me calmes lorsque le temps est à l’orage, que de noires pensées montent de mes gouffres amers et que mes réparties sont excessives .

Tes fermes colères que l’on pourrait croire feintes me sont le remu-méninges vibrant et salvateur lorsqu’atteinte par un assoupissement de l’attention et de l’âme je balbutie de vagues réponses devant le risque de la nouveauté .

Je t’aime, sans l’ombre d’un doute, que même notre arrivée conjointe sur une autre planète ne pourrait nous dispenser d’exprimer notre folle envie en miroir de chercher et de comprendre à tous propos ce qu’est la vie .

Je t’admire au-delà de toute considération restrictive, d’une admiration dispose et large, que même l’envol tardif d’un perdrix devant nos pas ne saurait nous distraire .

Et pourtant Dieu sait que j’aime les perdrix rouges qui de leur vol lourd et plat pourraient réveiller dans un sursaut salvateur le dormeur du val que j’ai si souvent tendance à être .

Devant notre énergie d’hommes debouts chargés des possibilités de réalisation à venir, la terre, notre champ d’activité, est si vaste, puissante et fragile à la fois, sensible, amoureuse et réceptive, qu’il nous arrive même d’entendre le murmure du commencement des commencements .

Ta parole tournée vers l’éternelle urgence à énoncer l’essence des choses me permet de poursuivre mon chemin, délié de toutes entraves, vers le clair ensemencement de mes jardins les plus profonds .

Tu m’accueilles avec tant de générosité, de promptitude et de justesse que je n’ai même pas le temps de te remercier. Dès que je te vois, je suis à l’affût pour te consommer avec ma tête et mon coeur, et dès que je me consume, dès ce que tu m’offres pénètre en moi, alors tu disparaîs, alors je fonds .

Tu es mère, grande soeur, ange et félibrige de mon coeur pour qui l’émoi que je ressens à ton égard est de suite transformé en « sens » clair et profond au service de mon engagement de fidélité à ton enseignement. Toi, ma flèche lumineuse .

Et puis je t’ai librement choisie comme étant mon amie alors qu’on ne choisit pas sa famille .

Et je serais toujours l’arc pour bander tes pensées réitérées avec force tant il est impérieux pour toi que nous les prenions en compte. L’état du monde actuel en dépend .

Ton message passe. Ta parole est reine. La fluidité de ta vision m’épouse. Les traces que tu laisses derrière toi, je les recueille au plus fort de mes perceptions et de mes capacités mentales pour les intégrer le temps d’une communion venue .

Ton visage est inscrit au profond de mon âme et pour peu qu’un souffle vienne à passer, aussitôt je me lève pour reprendre ce chant mystérieux qu’au cours d’une de nos premières rencontres je murmurais et qui depuis toujours m’accompagne lorsque je croise ta route .

Ton regard signe les instances de ces lieux de paix et de convocation à la vigilance d’une attentive flamme de pertinence .

S’il arrive de nous perdre quelques temps et que je te retrouve, aucun préambule n’est de mise dans le premier regard que tu me portes. Tu es là, je suis là, corps, âme et esprit prêts à la tâche qui nous incombe, ce grand oeuvre tissé de chaleur humaine, d’intentions de bonté et d’exigences de compréhension quant à notre posture à tenir dans nos temps si troublés .

Et si tu partais en voyage, sache qu’ici ou ailleurs il y aura de la place pour tes disciples, pour mes frères et soeurs en toi, afin de perpétuer le feu d’entre les eaux et le crâne, et nous entretenir de ce qui reste encore à faire .

Et puisque la vie est quête et pélerinage continu, tu es le bourdon du pélerin, le précieux bâton qui me soutient et avec lequel je calligraphie dans la poussière du chemin les lettres sacrées de notre écriture universelle .

Je t’aime, mon amie .

137

Juste un pas vers la sagesse

   Sagesse. Le mot « sagesse » vient du latin « sapere », d’où provient également le mot « saveur ». La sagesse est l’art d’apprécier la saveur. Elle marque une attitude très concrète, très réelle, et assez éloignée d’une organisation conceptuelle élaborée. Il s’agit de trouver un art de vivre qui permette de goûter la saveur de la vie .

Comment ce concept de sagesse se relie à celui, plus occidental, de philosophie ; car philosophie veut dire « amour de la sagesse ». Dans l’Antiquité les philosophes étaient des hommes dont on attendait qu’ils vivent selon leur philosophie qu’ils enseignaient. Philosopher impliquait une manière de vivre qui mette en harmonie la pensée et la vie .

Et puis au cours des derniers siècles, en Occident, la philosophie est devenue l’art de construire des systèmes de pensée, de les étayer, de les défendre et, dans des « disputationes », des discussions, de prouver leur suprématie sur les autres. Dans la Chine classique, un des foyers de la sagesse du monde, celle-ci était conçue différemment ; ainsi l’on disait que « le sage est sans idée, sans position, sans nécessité » .

Je pense qu’un sage est un être humain sans qualité particulière, sans idée déterminée à l’avance, sans position à défendre, parce qu’il veut rester ouvert sur la réalité, afin d’être frais et dispos à ce qui s’advient. C’est par cette posture que le sage peut le mieux refléter celui qui se confie à lui. La sagesse est donc à l’opposé de la crispation. Elle est proche de la sérénité .

Le sage ne « croit » pas ; il a la « foi » .

La « croyance » vient du latin « credere » et dans cette famille de mots on trouve notamment en français « crédulité », c’est-à-dire une manière de donner son adhésion à des affirmations que l’on est pas capable de fonder rationnellement. Croire c’est adhérer à certaines affirmations .

La « foi » vient du latin « fides » et dans la famille des mots issus de cette racine il y a en latin « confidere », qui a donné « confiance  » en français. Un homme de foi n’est pas avant tout un homme qui croit ceci ou cela, mais un homme habité de l’intérieur par la confiance. Avoir la foi, c’est avoir confiance dans la réalité ultime quelle qu’elle soit. Nous pouvons être habité par la confiance et la foi sans véritablement savoir quel est le fond du fond du réel .

Ne considérons pas la « croyance » comme une crédulité, mais comme étant d’un autre ordre niveau de conscience que la « foi . »

Et sur ce chemin, nous sommes toujours en train de faire le premier pas. Quand nous faisons un pas, nous nous exposons à un déséquilibre. Nous acceptons un moment de perdre l’équilibre de l’immobilité jusqu’à retrouver un nouveau point d’équilibre, en remettant le pied par terre. Alors qu’il n’y a rien de plus rassurant que de rester immobile, avancer un pied devant l’autre, c’est prendre le risque de trébucher. C’est accepter le connu pour aller vers l’inconnu, et ce, sans savoir à l’avance si cela nous réserve joie et épreuve. A celui qui se lève et marche, s’ouvrira devant lui un vaste espace, parce qu’en fonction du cap qu’il se donne – que ce soit la vérité, le réel ou la sagesse –  le « marcheur vrai » ne peut qu’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont pas de fin  .

Le « marcheur vrai » est homme de ce monde. Il ne peut déroger à l’engagement qui au détour de son parcours de vie le convoquera à rentrer dans une histoire, à s’inscrire dans ce qui s’est fait ou pas encore fait avant lui et qu’il pressent qu’il faut faire. Il lui faudra prendre parti. Il lui faudra s’incarner pour contribuer à transformer le monde  .

Le « marcheur vrai » semble aussi en dehors du monde. Il est en lui-même, pour lui-même, l’objet de sa réalisation par une voie intérieure. Il est en prise directe avec ce qui le dépasse et inexorablement avance vers l’innomable et l’innomé. Il donne et reçoit à mesure du temps qui passe et des rencontres qu’il fait sans prêter particulièrement attention aux conséquences de ses actes. Il est « présence » à ce qui est. Il est en confiance .

Le « marcheur vrai » en quête de sa réalisation se doit de dépasser la contradiction entre « l’engagement » et « l’intériorité » afin de se situer aux portes du temple où « sagesse » et « connaissance » sont à la fois différenciées et réunies. A ce point de son parcours, par un renversement de perspective animé par la foi, il peut dépasser le niveau de réalité au-delà duquel notre logique ne fonctionne plus. En effet, ce qui dans notre monde habituel semble inapproprié, peut apparaître au contraire en consonance, quand on change de registre, comme un nouveau niveau de réalité .

Il n’y a pas d’opposition entre la recherche de l’intériorité et l’engagement dans la vie du monde. L’un est presque la condition pour que l’autre ait une véritable efficacité. Celui qui resterait presque toujours enfermé sur lui-même dans une espèce de quête sans fond finirait par se dessécher sur pied car il manquera de l’alimentation de la relation avec tous les êtres qui l’entourent. Et celui qui s’engagerait dans la transformation du monde sans prendre le temps d’un retour vers son intériorité profonde, celui-là au bout d’un moment pourra s’éparpiller, s’émietter, se disperser, se chosifier .

136

D’une relation l’autre

Il est admis que c’est seulement par l’expérience personnelle que nous pouvons accéder à un peu plus de connaissance .

Mettre dans un bocal tout le succédané des enseignements ne mène qu’à soumettre à l’épreuve de la saumure la pureté de la quête en ses préliminaires ; ça chauffe, ça brûle même, mais jamais ne parviendra à maturité ce chercheur des eaux obscures .

Tu n’attesteras pas de ton appartenance à quoi que ce soit, une joie illusoire pouvant se glisser entre ta parole et l’objet de ta recherche .

Sois vraiment toi. Au passage du gué, il y aura l’épreuve. Alors ne te raconte pas d’histoire. Et même, ne dis rien. Garde le silence. Vois, et tu seras vu .

Si viens à passer le voyageur aux sept chameaux chargés de tapis, de soieries, de fourrures de parfums et de pierres précieuses, et que celui-ci veuille acheter tes vieilles chaussures toutes racornies, c’est que ces chaussures n’ont pas toujours été les tiennes et qu’un autre les portera .

Il te reste alors le chemin, et sois son obligé .

Ne sois plus la victime de ta croyance à être sur le « bon » chemin. Les grandes choses que nous puissions voir le seront par l’entremise des proches personnes qui t’entourent. Ta femme, ton homme, tes enfants, tes amis, tes voisins, te convoqueront à cesser d’être la victime de l’autre pour t’engager sur la voie de n’attendre rien .

135

La simplicité

  Autant parler de moi .

Autant parler des pierres, des fleurs et puis des arbres .

Je leur ai parlé .

Je fais parti de cette confrérie des jardiniers de la création .

Je sais qu’il faut progresser les mains nues, oeuvrer dans l’instant, dans l’obéissance à ce qui est, être à l’écoute, et non pas s’affubler d’outils performants .

Et puis j’ai découvert que la nature parlait, et en l’écoutant, j’ai découvert le silence intérieur de la communion, de cette union de soi avec l’autre, que l’autre soit un minéral, un végétal, un être animal ou humain, ou bien une entité naturelle ou cosmique plus grande que soi .

Certes la nature ne parle pas français ou japonais, ni un langage symbolique, mais elle s’exprime par « résonance ». L’on se met en position d’attente sans attente, de prière, de contemplation et le cerisier vous raconte une histoire, et le frêne, une autre histoire, et le hêtre une autre histoire encore .

Avec les chrétiens, à Pâque, on touche le mystère de la mort : s’il n’y a pas de mort, il n’y a pas de résurrection. Si j’amène ma petite fille voir l’amande en train de pourrir, je ne lui dis pas : « Regarde l’amande en train de pourrir », mais : « Regarde l’amandier en train de naître ». Pour l’amande, c’est certainement un moment terrible, mais cette amande donne la vie. C’est le lâcher-prise, l’abandon, la confiance .

Les arbres nous donnent à grandir .

Un jour en me promenant, je croisais un pommier, avec à son pied un petit pommier pas plus haut que trois pommes en train de pousser. Je levais les yeux et vis une pomme pourrie accrochée au pommier. Je compris alors qu’il existait deux morts. Cette pomme aimait tellement sa maman qu’elle n’a pas voulu couper le cordon ombilical et est resté accroché à la branche où elle a pourri sans donner la vie. Une autre pomme, elle, est tombée. Elle a pris le risque d’aller voir ailleurs et coupant le cordon ombilical est tombé à terre ; elle est morte, mais de cette mort est né un pommier .

La nature nous apprend qu’il y a des sauts, des morts, des émondages, des ruptures dans le rythme, une obéissance nécessaire à faire avec confiance afin de retrouver l’acte premier, l’acte créateur .

133

du bonheur marchandisé à la sobriété heureuse

Aujourd’hui, le désir du bonheur et sa marchandisation à travers la publicité est produit par le néolibéralisme économique, moteur de l’actuelle mondialisation, qui en a fait une industrie de masse ayant pour objectif de faire le bonheur des gens malgré eux.  Cela va à l’encontre d’une société du bien-vivre dont la première condition serait d’instituer le vivre-ensemble organisé sur le droit de chacun à vivre, et pas simplement à survivre, afin de respecter l’altérité et sa condition, la démocratie .

    Loin, qu’il y ait contradiction entre démocratie, amour et bonheur qui sont trois conditions fondamentales pour avancer vers la construction d’une société capable de favoriser un développement dans l’ordre de l’être et non une course écologiquement destructrice dans l’avoir .

    Encore ne faut-il pas considérer le bonheur comme un capital à conquérir et à préserver. Le bonheur est une qualité de présence, une qualité d’intensité, un art de vivre « à la bonne heure » .

    Le grand enjeu est de sortir par le haut du couple excitation/dépression qui caractérise le système dominant de nos sociétés soi-disant avancées, des marchés financiers, du spectacle politique, du sport spectacle et des médias omniprésents. Car cette façon d’accéder à l’intensité se paye cash par une phase dépressive fondée sur le déséquilibre et la démesure. Laquelle phase dépressive suscite le besoin d’une nouvelle excitation, et ainsi de suite .

    Ce cercle vicieux peut être rompu ; une autre modalité de vie est possible, sur le plan tant personnel que collectif. Il s’agit du rapport intensité/sérénité. C’est ce que nous ressentons quand une joie profonde nous irradie et nous relie à autrui sans nous isoler. Cette joie, qui peut naître de l’amour, de la beauté, de la paix intérieure, c’est-à-dire d’un rapport harmonieux à la nature, à autrui et à soi-même, est alors tout à la fois intense et sereine. Une sérénité qui permet de l’inscrire dans la durée, au contraire de l’excitation. Une telle approche n’exclut en rien cette forme d’intensité particulière qu’est la grande fête, le carnaval, l’événement culturel voire sportif majeur, ou bien  le temps exceptionnel de la vie personnelle ou collective .

    Mais elle invite à vivre ce temps autrement que selon le modèle de l’excitation, permettant ainsi d’éviter le côté « gueule de bois » ou encore la logique du plaisir pervers, là où l’excitation est en fait procurée par une domination sur autrui .

    La « sobriété heureuse » n’est pas l’austérité ni l’ascétisme. C’est cette opportunité à vivre intensément ce voyage conscient de la vie dans l’univers que nous propose l’aventure humaine. C’est aussi, sur le plan politique, le droit accordé à tout être humain de se mettre debout pour véritablement Vivre .

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La question de la vie . 2

C’est une question incontournable pour tout être conscient, et notamment conscient de sa finitude. Quel est le sens de cette humanité, de cet univers qui l’a fait advenir au terme d’un prodigieux processus de quatorze milliards d’années ? Que l’on soit agnostique, athée ou croyant, c’est la question qu’un jour ou l’autre on ne tarde pas à se poser .

L’histoire des civilisations est d’abord l’histoire des tentatives de réponse qu’elles apportent à cette question ultime. Mais, parce qu’il s’agit d’un enjeu essentiel, voire vital, les hommes ont instrumentalisé la question fondamentale du sens à donner à la vie en concevant des systèmes explicatoires plus ou moins fermés qui ont eu des conséquences parfois pacifiantes mais paradoxalement parfois plus meurtrières encore que celles de la liberté, de l’égalité et de la fraternité .

Car la question du « sens », au lieu d’être un espace privilégié de questionnement et de croissance en connaissance et en sagesse pour l’humanité, est souvent devenu le vecteur de réponses dogmatiques. Au lieu d’être respectueux de la quête d’autrui, des groupes humains de pression habités par la volonté de puissance, la cupidité, la peur du vide et la recherche du pouvoir cherchent à la dominer ou à l’exclure, ce qui déclenche alors la guerre des « sens ». Et qu’importe que celle-ci tourne autour de religions transcendantes ou séculières. Les mêmes logiques meurtrières sont à l’oeuvre pour les condamnés des procès de Moscou au nom de l’Histoire, pour les victimes des génocides provoqués par des régimes politiques totalitaires, pour les condamnés de l’Inquisition catholique (Torquemada) et protestante (Calvin), de l’intégrisme juif ou de la charia islamique .

Dans tous ces cas, ce qui a été et est encore aujourd’hui trop souvent au travail est le mépris de l’altérité, aussi le premier droit de l’altérité dans le domaine du « sens » à donner à la vie, à sa vie et à celle des autres, c’est celui de la liberté de conscience, notion bien fragile mais outre la vigilance et le l’opiniâtreté qu’elle implique est aussi emprunte d’estime de soi, de respect de l’autre, de recherche de l’authenticité, d’amour propre bien senti, de simplicité, d’humilité, de plénitude et de savoir vivre .

Il est un temps à venir, plein de fureur et de lumière, où seront délier les gerbes de l’avenir dans les champs de l’espoir. Puissent alors les hommes et femmes de bonne volonté se lever pour prolonger la longue marche à être, en surplomb du Mystère, les continuateurs de l’oeuvre vive du grand transbordement, du grand Oeuvre de la vie, courte à notre échelle personnelle, mais si longue au vu du dépliement de l’avenir, et si opérante par les traces que nous nous devons d’inscrire dans le grand livre des mémoires que consulterons nos descendants .

Que l’esprit, le coeur et la raison nous assistent dans cette question du « sens » car il y a plus grand que nous dans cet univers en expansion. Nous pouvons paraître aussi bien maigre fétu de paille jouet des éléments, qu’infime cellule hollogrammique de ce monde si vaste dans lequel nous sommes partie prenante, en responsabilité et en présence à ce qui est .

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Toi mon frère

  Cela se passait au cours du périple des initiations. Un jour, alors que le temps était à l’orage, nous perçûmes au travers de la course des nuages ce signe propitiatoire, cette enclume sortie du fond des cieux .

Lorsque le sourd ébranlement parcourut la montagne, nous fûmes alors projetés sur le sol pierreux face contre terre, tétanisés, à attendre la fin de cette colère dont les effets devaient se répercuter jusqu’au profond de nous-même .

Après un temps hors dimension, lorsque je me retournais et que le ciel étonnamment dégagé ne présentait aucune trace d’orage, tu étais là, mon frère, immobile, les vêtements ondulant au vent léger du matin, la barbe frissonnante et le regard doux porté sur la vallée des origines .

L’air était pur. Une odeur de fleurs fraîches s’élevait. Sans nous regarder nous prîmes notre bagage pour poursuivre l’ascension .

C’était il y a quelques siècles. Nous avions dès lors l’âge d’être vraiment des hommes conscients de nos responsabilités et de la tâche qui nous était impartie. Nous étions traversés par le destin qui se manifestait par cette force indicible et inflexible qui inexorablement nous engageait sur un chemin de connaissance et de sagesse, sur le chemin du grand Mystère. Là était le sens à donner à notre vie .

Souviens-toi de cette nuit où le vent hurlant accompagné de rafales de pluie froide faisait se rompre et se coucher les arbres derrière nous. La terre était en fureur. De si profondes ravines se creusaient devant nous que nous étions dans l’obligation d’implorer la providence pour en confiance continuer d’avancer en nous en remettant à plus grand que nous. Nous devions sortir grandis de cette épreuve .

Souviens-toi du temps calme de nos promenades à travers champs où chanter à tue-tête l’intense joie d’être simplement en vie nous emplissait d’insouscience et de plénitude. Il y avait de la légèreté tout autour de nous et main dans la main nous faisions un grand tour tout autour de la maison familiale, par delà les blonds champs de blé parsemés de bleuets, de marguerites et de coquelicots ondulant sous une brise légère pour faire apparaître les formes mouvantes de la bête qui se déplaçait en courbant les épis alors bruissants. Un frisson nous parcourait et c’était bon .

Le temps était vif ce matin. Habillé de ton tablier d’écolier usagé qu’on avait ressorti pour les vacances, tu descendais les solides marches de pierre du pas de porte pour, retrouvant ton bâton, aller tracer sur la terre battue du chemin ces signes qui me laissaient coi. Tu étais le guide qui me montrait  la voie .

Souviens-toi de ce passage étroit que nous empruntions pour sortir du soupirail des tentations. Il faisait sombre dans cette souillarde de tous les dangers mais jamais nous ne tombâmes dans le trou rempli d’eau. L’endroit ne recélait que le tonneau de vin du grand’père et sur des paillous quelques morceaux de fromages protégés par des torchons de toile épaisse .

Souviens-toi de cette ballade hivernale dans le haut pays où, par les routes déformées par la glace et la neige, l’aventure s’offrait à nous. Emmitoufflés sous les parkas et les bonnets, l’air froid entrant dans l’habitacle de toile du véhicule troué d’un large estafilade qu’un parapluie ouvert recouvrait, les cahots et les dérapages nous faisaient pousser des cris de victoire. Arrêtés en forêt nous rencontrâmes  l’onglée douloureuse suite au lancé des boules de neige contre le caravansérail de notre passé .

Nous ne verrons plus les caravanes lentes, chatoyantes et odorantes du suin des chameaux et des épices. Nous n’entendrons plus le cri des hommes guidant leurs montures récalcitrantes vers un ailleurs que nous ne soupçonnions pas. Me revient de ce désert des origines la vision du souffle brûlant des sables soulevés par le simoun et cette main tendue, brune et crevassée du sage vieillard surgi de nulle part qui s’ouvrant laissait apparaître le trésor, ce fruit dur, noir et ridé trouvé le long du chemin bordé de chardons et d’épineux .

Ne demeure aujourd’hui que le buisson bien normal de l’accompagnement de nos enfants … Tiens ! Sur le parvis ils ont monté le chapiteau de la passion …  L’on attendra la suite du grand livre des transformations .

De suite, il n’y en eu pas, toi le frère égaré .

Souviens-toi que d’entrer dans le corridor des naissances nous faisait si peur. Toi, tenant ton bâton et moi psalmodiant quelques formules magiques qui devaient nous aider à passer de l’autre côté, en nouveauté. Il n’y eu pas de seconde chance. Rien que les blocs de pierre épars du reflux de la pensée que le temps des atermoiements oriente vers l’avoir et la sécurité .

Les cieux se sont ouverts. Des cataractes d’eau ont balayé les traces de notre histoire. Enfants sages qui possèdions le don de se pourvoir par l’imagination dans ce pays lointain des aventures extraordinaires, nous avons maintenant cessé de chanter nos origines. Et parfois lorsque l’orage gronde, devant la cheminée au feu crépitant, nous reste alors le geste de remuer les cendres du passé, pour, à la croisée de l’émotion et de la sincérité, dire vrai, dire simplement ce qui est .

L’appel de notre mère, nous ne l’entendrons plus. Elle qui nous invitait pour le goûter devant un bol de lait chaud au banania à croquer à pleines dents les larges tartines de pain bis gonflées de confiture de groseilles et cassis ; larges tartines que notre grand’père avait coupées dans la tourte qu’il n’oubliait jamais de signer d’une croix lorsque pour la première fois il y portait le couteau. La clide de bois du jardin ne restera plus fermée pour empêcher les poules d’aller s’ébattre au milieu des plantations. Nous n’aurons plus à aller cueillir le persil au dernier moment pour garnir la salade de carottes râpées et les oeufs mimosas .

Quant à l’eau du puits qu’il fallait aller puiser à la fontaine dans ces seaux de zinc si lourds à la remontée, parfois lorsque le vent me dit, j’entends la Vieille rire .

Te souviens-tu ?  Rien que d’harmoniser le chant matutinal des oiseaux avec les cloches de l’église fait émerger ce goût acidulé d’avoir été si proche de toi, mon frère .

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La présence à ce qui s'advient