Ma mère de l’autre temps

   Ma mère de l'autre temps   
d'où elle venait   
je ne sais   
peut-être de ce train   
au dessus du viaduc   
puis le retour en enfer chez les sœurs   
sans Marie   
abandonnée dans des draps souillés   
offerte à la terreur.      

Mon père silencieux et amoureux   
s'accrochait à sa femme    
comme au radeau de la Méduse   
courant joyeusement   
derrière la carriole au sortir de la gare   
dans la poussière de Montamizé   
puis s'adossant contre un paillou   
jouait de la trompette.      

Ils eurent un enfant   
les convoquant à se marier   
le bel enfant du printemps   
pour palier à l'entrée en guerre   
au bout du chemin d'entre les blés   
à cueillir le bleuet et le coquelicot   
en tendresse et injonction   
pour que destin advienne.      

Il s'appellera Jean   
comme cet oncle mort jeune   
libéré des tranchées   
et de la grippe espagnole   
que je devais réincarner   
vint cinq ans après   
en ombre portée sur le seuil   
chez mémé Danube.      

Qu'en sais-je ?   
je ne l'ai jamais vu   
mais je le crois.      

Puis une fille vint   
à qui Lulu donna son prénom    
alouette des champs   
entendue en planèze   
au paradis estival de l'Auvergne familière.      

Quand le petit dernier jaillit   
ce fût le grand chambardement   
l'oubli du taudis de Grenelle   
notre mère ne fût plus hagarde sauvageonne   
à courir les chablis de son enfance   
loin des bombardements   
elle reprit pied   
réagença quelques pièces du puzzle   
et fît revenir Fifi sous son oreiller.      

Ils n'ont pas été plus loin   
les ouvriers de notre source   
bâtie sur les ruines de familles en exil   
ils reposent en dehors de la scène   
sous les étoiles d'un ciel large   
qu'il n'est pas vain de contempler   
le soir quand le RER ébranle les tombes.      

Parfois tout en haut   
trois points lumineux nous font de l'œil   
derrière la course des nuages   
chantent nos morts   
s'égaillent les vivants   
sur leurs chemins de vie   
enfle la rumeur d'une tornade   
que le vent soulève   
sur la route de Frugères   
tel le repli des boches du Mont Mouchet   
leur forfait accompli.   

Il est temps d'étendre la nappe   
sur l'herbe du Pradou   
d'amener la vaisselle qui quincaille   
dans le grand panier d'osier   
sans oublier le vin noir tiré du tonneau   
rire et parler haut   
pendant que les enfants chahutent   
que marraine prépare l'appareil photo
et que grand'père signe d'une croix   
le dessous de la tourte. 

         
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