La Cène du Vinci

Naguère il y eut prise d'air   
Pour pommes rouler à terre.      
 
Assises là bibliquement   
Marthe et Marie en face à face.      
 
Le poisson et l'oiseau   
Refaisaient le parcours de leur rencontre.      
 
Son et eau de leur discours   
Éclaboussèrent la fontaine d'une ombre furtive.         
 
A ne plus mettre un coquelet   
Dans la marmite, se dirent elles.      
 
Les sous-mariniers de l'entente cordiale   
Y crurent comme au temps des puces molles.      
 
A dire à redire à maudire   
Les mots étaient de braise.      
 
Pour que main en retombée du corps   
Faire un cœur de leurs doigts fins.      
 
Écume en commissure des lèvres   
Il fallut se replier.      
 
Notre Sœur était là   
Et pûmes lui glisser par l'opercule   
Les papiers de la recommandation   
Que nous avions préparé    
Pour le mur des lamentations   
Mais que la grève des aiguilleurs   
Nous réorienta   
Vers cette tonnelle  
Où claquer des dents   
Est moindre mal   
Quand dans la saulaie   
Couinent les corbeaux   
Préparant une nuit de silence   
Ridulée par un vent frais   
Appelé par ici   
Le Briennon des enfants   
Façon d'accueillir le souvenir   
Des garçons et des filles   
Se retrouvant au lavoir   
En tête à tête avec les étoiles   
Cheminant en Galaxie   
Affectueusement   
Sans formalité   
Comme voyageurs de la Joie   
Dépliant leurs paniers   
Cliquetant du choc des couverts   
Devant la Cène du Vinci.      

( œuvre de Frédérique Lemarchand )
 
1025

les fleurs de printemps

A ne pas cesser d'encenser   
Ces fleurs de printemps   
Blanches épures de la soudaineté   
Vites courbées et flétries   
Par la pluie fine d'avril.      
 
Elles causent ces fleurs   
Et content par le menu   
L'élévation du jour   
Passé sous la trémie de la nuit   
Cette infante prête au mariage.      
 
Ils me disaient les korrigans   
Que les forces de gravité sont puissantes   
Quant le matin mène grand tapage   
Et que poules caquettent   
En cette année de l'âme couronnée.          
 
Parons de belles paroles   
Les senteurs et bruits de l'aube   
Dans le fouillis du chemin   
A écarter l'herbe mouillée   
Vers la fontaine de l'esprit.      
 
Petits cris de souris   
Sous la soupente   
Amène gros grizzly   
A passer le museau   
Entre les planches du corral.      
 
Pas de panique   
Soyons l'homme vigilant   
Ce dieu déchu qui se souvient des cieux   
Corde tendue au dessus du précipice   
Aux fins de s'arracher à la matière.      
 
Et puis si rien ne presse   
Badigeonnons au blanc de chaux   
Les pommiers du verger   
Gage d'un éblouissement permanent   
Quand cessera l'adoration des blessures.      
 
Un signe une grâce   
Il est temps de se lever   
De bâtir l'homme intérieur   
Pour changeant d'environnement    
Mettre la pensée en boutons.      
 
 
1024

Voyage juvénile

Dans le silence étroit   
Il y a voyage   
Cet art de souffrir au présent 
D'une ardeur interne et juvénile   
La cohorte de passage.      
 
Et puis le jeu s'annonce   
Celui du regard oblique   
Frémissant d'horreur   
Devant la haine   
Ne parvenant pas à dompter l'événementiel.      
 
Alors l'enfant s'agenouille   
Le bel enfant de lumière   
Devant le lichen de la pierre   
A quémander épée et fronde   
Brinquebalantes aux ridelles du charroi.      
 
Tout est Un   
Nous sommes la foule   
Et la fissure n'y peut mais   
De retenir en son alcôve   
La danse des corps nus.      
 
 
1023 

Au carré d’as

Au carré d'as   
De ce que furent    
Aux Bergères   
Tante Marie et oncle Jean   
Les tenanciers de l'amour   
Cette femme affable   
Cet homme à l'accent slave   
A l'accueil vertical   
Dès que le temps des Lilas arrivait   
Il y avait fête   
Fête de la belote   
Fête des paris hippiques   
Fête d'un repas bien gras   
Avec grande salade de fraises   
Et éclats de voix.      
 
Le chien Black orchestrait tout ça   
Et le cerisier réservait la surprise   
De la blonde et carnée Vierge des banlieues   
Qui dans un rayon de soleil   
Faisant claquer sa langue   
Devant la tentation du fruit frais.      
 
A l'appel de cette voie   
Le Bouffon ne pouvait aller bien loin   
Il se retournait   
Et sa progression   
Etait celle de l'âme éternelle   
Sur le sentier des lumières   
Tracé en attraction extrême   
Vers l'engagement   
A être grave   
Devant la soumission aux forces du travail.      
 
Le corps et l'âme se rejoignaient   
Engageaient la bagarre en perdition   
Assouvissant leurs envies matérielles   
Si lestes   
Et s'enfonçant plus avant   
Avec le train fantôme  
De la fête à Neuneu 
Dans le tunnel aux squelettes
Répondre à l'appel du Très Haut   
Répondre avec détachement   
En suivant à la lettre
Le programme des festivités   
Repas gras   
Et fraises au dessert.      
 
 
1022

Au passage de la rose

Du dedans au dehors   
S'épousent compagnes et compagnons   
Préparant la rose   
Au vertige de son ascension.      
 
Science infime   
Des chemins se croisant   
Il est maintes épreuves    
Convergeant vers la tunique de peau.      
 
Encombrant le passage   
D'éléments immobiles   
Ils ont converti la terre en eau   
Et le feu en air.      
 
Rose légère et transparente   
Aux profondes excavations   
Tu as recouvert l'étau des convenances   
D'un chant de renaissance.      
 
En surface   
Figure de soie   
En agilité feinte par ton lent dépliement     
Tu es vraie et la vraie vie recommence.      
 
Sommes les jardiniers de la rose   
D'une troupe fantôme bruyante et agitée   
Les bulles et les bulles attenantes   
A crever les écrouelles du visage.      
 
Se détachent les pétales   
En mutilation programmée   
Pour pantin magnifique de la fête des écoles   
Faire ses premiers essais sur scène et dans les cœurs.      
 
Plus de paralysie   
Les cimes et les gouffres encadrant le désir   
Seront regards d'ambre   
Ouverts à la Lumière.      
 
Bande ton arc   
Épanoui par la tension du muscle   
Retourne toi   
Petite chouette des granges   
A contempler le défait du soir   
En captation terminale   
Articulations assouplies   
Pour liberté de mouvement retrouvée   
Être le reflet inaugural   
Du couple authentique   
Marchant vers ses noces   
Aux cieux capricieux   
Du cercle des amours.      
 
1021

La manigance

Tu écris droit   
Avant que le penché vienne   
Te faire nique   
Alors que tu piges vite   
À te remettre à l'endroit   
Avec derrière toi   
Le souvenir du pas tout à fait   
Laissant aux nymphes boréales   
Le "pas neuf pas pris" des nuits d'insomnie.      
 
Aussi grise mine du sans soucis   
Sur la berge du départ   
Tu t'es départi de la bouleversante apparition   
De tibias, fémurs et cranes   
Attenante aux outrages du temps   
En commisération   
Des vagabonds de l'aube   
Enclins à quitter le port d'attache   
Pieds et poings liés par la Manigance.      
 
Tu écris vraiment droit    
Et ça se voit   
Entre l'eau et le sable    
Les radiés de la cause   
Parlant à demi-mots   
De l'ailleurs et d'aujourd'hui   
Quand passent   
Soulevant la poussière de l'été   
Le trèfle et le sainfoin d'une grange à remplir.      
 
1020

Femme d’un cran dessus

Femme d'un cran dessus   
La riposte fût au carénage   
Le jeté du manteau   
Qu'affligea l'instinct   
A cru à dia   
A croire chimères tombées en acrotères   
Plus belles que gargouilles en mystère   
Gouleyant d'algues humides   
A la portée d'oiseaux de mer  
Exposant au risque du temps   
Brumes et korrigans   
Dansant soucis et passions   
Sous le voile d'une aile   
De peur et de mort   
Altérée    
De sanglante manière   
Cette mise    
A l'horizontale   
Du soir venu   
Goutte de sang déposée comme bijou doux   
Sur la joue   
De cette femme   
Couleur amère   
Cette femme d'un cran dessus   
Le père disparu   
Aux écluses du ciel.      
 
1019

Les larmes de l’ombre

J'ai pêché le passé   
Sous l'arbre de Noël
Au marécage des enfants blessés.

Clap de fin
Sur l'ordre du désir
Arrive le bonheur à l'heure dite.

Je parle et agis sur la pointe des pieds
Tel flamant rose en instance d'incarnation
Sous le voile d'un soir d'été.

Combien ça coûte
De s'équiper de bottes chaudes
Pour marier le froid et l'humide.

Au fil à plomb
Des instances de la vie
Il n'y a de vainqueur que celui qui fuit.

Après tout après rien
La tâche de sang sur votre collerette
Effacera soucis en rase campagne.

S'échappent
Au goutte à goutte d'une perfusion
L'écrit et le parlé.

En clamant la Liberté
Les amants de Saint Jean
Ont consumé leurs derniers baisers.

Il n'est de prise d'air
Que la prestance
Au coup de vent à venir.

Et pour peu que la mer se retire
Le coquillage luisant
Égrainera les larmes de l'ombre.


1018

Dites-le avec des fleurs

Ecrire pour ne rien comprendre   
Vivre pour prendre
Et s'entendre rire
Quand les fleurs sont à choisir.

L'existe-sens est à rebours de nos actions
Nous les perclus de l'amour doux
Les enchanteurs du fond des cavernes
A hurler avec les loups.

Respirer est mieux que de rester sans rien faire
Bras ballants
A recevoir une balle en plein front
En sortant de la cave.

Joindre les deux bouts
Sans enfumer son propos
Réserve sur le tard
Parole d’évangile à peu de frais.

Passer par la fenêtre
Langage et vermifuge
Occasionne au passage
Charivaris et calembours.

Se caller dans le fauteuil des ancêtres
Déclamer les mots de la nuit
Paraître vieux sans être jeune
Mérite poubelle jetée dans la rue.

A sauter sur les ressorts du canapé
Le plafond se rapproche
Sans pudeur et sans masque
Par temps de pandémie.

J'ai jeté en pâture ce qui se fait de mieux
M'en suis fait une amie

Frisottis et tutti quanti
Une arme à la main.

Ce n'est qu'à la fin de la récréation
Que la création passe le gué de la tradition
En émotion de la possible nécessité
D'avoir été soupape pour les amants.

Et si j'ouvre mon cœur
C'est raison donnée
D'être l'enfant d'outre-ciel
Sous le bourdonnement des drones.


1017

Meurtre à Marioupol

La fanfare descendait la colline  
Fifres en tête
Puis tambours et trompettes
Pour finir par l'hélicon.

Le vent noir de l'hiver
Soufflait à se tordre les chevilles
Sur les mottes d'herbes

Disposées là depuis des siècles.

Au loin le canon incessant
Faisait vibrer les frênes
Caquetant de leurs branches
Telles baguettes devant le bol de riz.

Les formes alignées
Aux pieds des immeubles
Par paquets de cinq
Dimensionnaient les fosses.

Point d'objets inutiles
Sur la plage
Rien que le corps émasculé
Du poète de mes deux.

Je n'avais pu lui dire que je l'aimais
La femme des quais de Seine
Main dans la main jusqu'aux Tournelles
Près de la cage des suppliciés.

Le siècle avait deux ans
Soixante deux exactement
Et l'on dansait au Slow Club
Tard dans la nuit.

Les missiles sifflaient au sortir des caves
Et la brassée de feu mordait le ciel
D'une boursouflure rouge et jaune
Sans que le bleu de l'âme paraisse.

Ce soir je caresserai Grand Chat
Jusqu'à l'épuisement
A même le sable noir de la plage
Griffée par les vaguelettes de la mer.

Tout est rassemblé
Pour ceux qui subissent l'outrage
De demeurer le visage impavide
A la lueur des torches de Carnaval.

J'avais cru que la liberté
Émargerait à l'entrée du théâtre

Et bien m'en a pris de prendre mon envol
Vers la pleine lune du cycle des contemplations.

Churent meurtrières les poussières de la fragmentation
En crevant le tympan des grand-mères
Pendant que les enfants cherchaient protection
Sous les jupes des femmes.

Ne plus penser que la terre est ronde
Ni que le soleil reviendra
Dans les ruines fumantes
Juste le passage des chiens errants.

Il suffirait d'une pression de l'index
Pour que la tête éclate
Contre le mur de briques
Du monastère détruit.

Les illusions se chamailleraient
La Vérité serait saisie par l'horreur
Il y aurait du sang sur les marches
En descendant le Potemkine.

Et puis rien
Si ce n'est un peu de lumière entre les doigts
De la main augurale de l'embrasement
Du rêve que les lendemains chantent.

Le ciel souriait
Édenté, je me suis enfui
Sans famille
De l'école de la rue Rouelle.

Il y avait Pierre, Nad
Et puis Hug et Julie
Aussi j'ai pris mon chapeau
Pour me carapater dès l'aube.

L'un pousserait le sujet vers le monde intérieur
Introversion

L'autre vers le monde extérieur
Extraversion.

Et ce serait bien comme ça.


1016