Tous les articles par Gael GERARD

Mine de rien je vis

 Mine de rien je vis   
 dans les encombrements   
 le cœur de nos parents    
 les marsupiaux   
 enserrés dans le creux des arbres.  
    
 Point n'eût fallu   
 ces élans matrimoniaux   
 pour accorder pareille méprise   
 du dextre et du senestre   
 à l'épée de justice.    
  
 Mêlant les souvenirs à l'ouverture   
 ensemençant le champ de nos ancêtres   
 il nous parut d'un autre âge   
 Lui, si grand à contre-jour   
 dans l'encadré de la porte.   
   
 " Mesurer ses pensées ne me convient pas "   
 maugréait notre père à tous   
 ce vieil évaluateur de l'autre temps   
 cet adorateur thuriféraire des choses bien faites    
 que le moindre sourire faisait vaciller.     
 
 Au fripé des nuits de coton   
 la lune est belle   
 à demeure   
 tant que les heures coulent   
 au zoo des temps heureux.      

   
 448 

la déchirure s’est rouverte

   Fruit sec décollé de sa gangue 
claquement de langue au crépuscule     
la cicatrice s'ouvre   
passagère clandestine de la nature profonde. 
    
Point de mouvement   
juste l'appel du chorège   
chargé d'organiser le passage du gué. 
    
La fièvre n'est pas punition   
pour le lutteur d'absolu.   
  
La peur est grain de foi   
pour la jeune pousse   
dont la graine vient d'éclore.   
  
La matière par devers lui   
n'apportant que douleur   
nous convînmes d'appeler le fils de l'aube   
au marécage des émotions   
et de salive épanchée   
faire rosir la cicatrice   
gage d'oblation. 
    
De ses yeux rayonne la lumière   
toujours et partout les ténèbres fuient   
le rythme des tambours s'élève   
le temps est au recouvrement. 

     
447

construire quelque chose de neuf

   Aux trois âges   
pommelle des fenêtres que l'on ouvre    
puis ferme   
pour les rouvrir à nouveau.   
  
Remonter vers la lumière   
impose la descente subséquente.     
 
Grandir   
petit de l'homme et de la femme   
jusqu'à l'adolescence   
oblige la première descente   
où l'être nouveau brûle   
en la consommation de sa puissance animale   
alors que l'élan de la relation est là.   
  
Au port que le navire aborde   
reflet des abîmes traversés   
l'adversaire rassemble les épreuves passées.   
  
Là, le cœur brisé   
il faut joncher le sol de nos fleurs fanées   
et s'ouvrir au moins que rien.
      
C'est alors que la nouvelle terre paraît   
où mettre en sacs les dernières moissons   
sous un ciel de feu   
qu'un souffle propice échancre   
et plonge une dernière fois   
descente inexorable   
vers la gueule du Léviathan. 
      
Séparant le grain de la balle   
fracassant le germe   
sur l'échéancier des parousies   
assisterons-nous à la levée du pain de vie ? 

    

446
( détail peinture de Frédérique Lemarchand )

il est temps de se mettre à l’ouvrage

   Vers le haut de la montagne   
à la cime des arbres   
pendent les chiffes colorées   
que les rapaces ont dispersés.   
  
A l'affût près des roches moussues   
à la source intérieure  
le loup guette   
le museau frémissant. 
    
Montent de la vallée   
le cortège des humains   
raclant de leurs souliers cloutés   
les cailloux du chemin ferré.   
  
S'arrêtant dans la clairière   
ils déposent le fardeau   
ce corps mort   
sur un tronc d'hêtre brisé.   
  
S'élèvent les chants de l'autre temps
d'ailleurs et d'aujourd'hui  
mariage des sons gutturaux   
et des plaintes légères   
tel un feulement amoureux finissant.   
  
Par dessus la forêt   
l'astre solaire explose   
écartant les brumes matinales 
il redresse les forces inversées.
    
Il est temps de se mettre à l'ouvrage   
de poser les gouttes de rosée sur la feuillée  
puis d'allumer le feu de la fertilité   
en éclosion d'infini. 

    
445

Les petits papiers secrets

 De plumes vertueuses   
 le colibri s'est épris.  
    
 Les yeux se plissent   
 devant la solitude de l'enfance. 
     
 Les poings se serrent   
 s'il n'y a rien à faire de mieux.  
    
 À demeure l'au-delà se recueille   
 quand le temps casse sa pipe.  
    
 À genoux devant la fontaine   
 chaque araignée d'eau purifie.  
      
 En rangée de perles
 le sang de l'œil conte fleurette.   
   
 Le souvenir toujours le souvenir   
 à ne plus avoir de pleurs.
      
 Connaître le don des larmes   
 matrice des connaissances.
      
 Au gré des ans   
 passe l'excès d'amour de soi  
 passe la danse des sottises   
 passe l'histoire fondatrice   
 passent les grandes doctrines    
 passent les blessures   
 passe la nostalgie de l'ailleurs.
            
 Au gré des portes qui se ferment   
 s'ouvre un mutisme tempétueux   
 s'ouvrent nos vies minuscules   
 s'ouvre la nuée des tendresses    
 s'ouvre la nécessité de prendre soin   
 s'ouvre la parfaite adhésion à ce qui est   
 s'ouvre un sens à sa vie.  
    
 À la cloche de l'étude   
 j'ai mis mon tablier gris   
 et sa ceinture bien serrée   
 avec au cou   
 la médaille miraculeuse   
 et ces petits papiers secrets   
 attachés aux bretelles   
 de la culotte en velours côtelé.   

    
443

Nos visages enceints

 D'un revers de la main   
 il a convoqué le signe   
 apparu sur l'écorce du hêtre   
 embranchement des tensions   
 d'une poussée verticale   
 alors que le frisson parle   
 au cœur de l'humus foulé   
 par la galoche cirée.  

 Il est des nuits de lune pleine   
 à saupoudrer de fines étoiles   
 le pavement des villes éternelles   
 accrochant à la ramée   
 la chaleur du jour dissipée   
 que rosit les joues fraîches   
 de nos visages enceints. 

 
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