petite main poétique clouée sur la porte des granges

   Des mots de cliques et de claques   
signent le ciel d'ordures clinquantes. 
    
Les errances sont légitimées   
par les propagandes baveuses. 
    
Les attaques aériennes   
abreuvent la nuit   
du sifflement des bombes.   
  
Des tombes retournées   
fleurissent les fêlures de l'esprit. 
    
Il n'y a d'espoir que la petite main poétique   
clouée sur la porte des granges.   
  
Les insectes même   
se suicident sur les plages abandonnées.   
  
Au matin   
le sol sera recouvert de fiel.   
  
Gesticulations entretenues    
d'êtres dénués d'amour.   
  
La mort est là,   
tenancière cuivrée des cymbales apocalyptiques.   
  
L'arbre dresse son squelette   
sur les plaines suffoquées.      

L'heure est au meurtre,   
terrez-vous terriens!   
       

417

Manon peint

   Manon est une jeune femme lunaire   
 Dont l’âme va à la vitesse de la lumière   
 Elle est joyeusement désinhibée   
 Sans mental   
 Sans jugement   
 Son rapport au monde est un fait de nature   
 Sa maturité artistique relève de la pure nécessité   
 Comme elle sent ce qu’elle vit   
 Dans le moment   
 Ses valeurs sont étrangères à ce qui se fait   
 Sa Vérité est celle de l’instant   
 D’une sensibilité en prise directe avec le geste   
 Elle est irrationnelle selon un flux continu   
 Elle est le principe fondamentalement Juste   
 Celui de l’humain qui est de s’extraire de l’animal      
 Ce n’est pas Manon qui conduit la peinture   
 C’est la peinture qui se fait à travers elle.  
 
( œuvre de Manon VICHY )


416
 

Au vertige des songes

 Elle peignait la nuit   
 sur une toile blanche   
 bâtissant son royaume   
 d'invisibles touches
 aux vertèbres de son arbre.  
    
 Lentes et fluides   
 les coulures de l'esprit   
 proposaient leurs sucres   
 au vertige des songes   
 entre l'air et le monde.
      
 Le vent se leva   
 la Bête vint   
 en catimini sous la lanterne   
 donner le mot de passe   
 terreau pour un sol pur.  
    
 Le mufle soyeux du bleu charrette   
 fit trembler l'instant   
 marqué d'une flamme   
 que l'œil au trait d'union   
 fît danser sous les étoiles. 
     

415  

au canevas des fluttes agasses

  Au plus fort des choses périssables   
le piano se fait trompette   
sur le frisé de ses cheveux   
regards croisés  
vers le visage aux rayons ailées.      
 
Soutenir le langage   
pareil au papillon de nuit   
coulent les notes    
vers la chambre des romances   
afin qu'il se souvienne.          
 
Les bras révélés sur cette robe noire   
traversent la Vie   
au canevas des fluttes agasses   
le chant soudain jaillit   
sur la table des tourments.     
 
Ne nous dédaignons pas   
à l'ombre des tamaris   
si aveuglé de lumière je te blesse   
s'échappe le cri   
d'un lien pour renaître.   
  
 
414  


Dalles propitiatoires

 Haute horloge   
 des montées de sève,   
 sur les dalles la marche   
 rompt le souffle de la bête.     
 
 Se recueillent les frères   
 sous leurs capuches de bure   
 près du baptistère,   
 refuge des chrismés.      

 Suppliantes, les âmes volettent   
 entre les piliers de la nef   
 abeilles bourdonnantes en crépuscule   
 la nuit bientôt de silence présente.     
 
 Les ancêtres seront honorés   
 le pain rompu   
 sur les dalles propitiatoires   
 des mondes soupirants.      

 A même le sol   
 vivante lumière   
 accordée à celles des autres   
 elle reste là quand rien ne reste.   

   
413

au périscope de nos amours

   Debouts

Près de l'ombre des choses premières
chercher la vareuse qui nous protégera du grain,
porter sur le chemin désentravé
le panier d'osier des travailleurs.

Les arbres mes frères,
être le vent d'un dessein secret
dans l'immobilité du saisissement,
être l'Ouvert.

Ne pas se résigner,
un pas de côté et ce serait la fin.

Langage et silence en toute franchise,
élever nos cœurs
vers l'autel des rencontres,
accueil de nos œuvres,
accord avec l'âme du monde. 

Frotter sa pierre contre la pierre de l'autre
sans que le chagrin nous éloigne,
nous, nullement attachés au confort,
nous, dans l'espace, aperçus,
balancement du roseau,
par le périscope de nos amours.


412

cette prise de bec

   Cette prise de bec   
à secouer le géranium   
peut amener l'autre   
à la déréliction. 
         
Passe les montagnes   
enjambe les vallons   
le ronron du moteur à explosion   
se mouche et meurt.     
 
En soutenant l'âme océane   
en avant de l'action   
tombe la pensée systématique   
de l'oubli et ses errements. 
    
Par la méditation   
par le dépassement   
s'ouvrent les lèvres   
se balançant entre mystère et présence.      

Arrive la voie élue   
le soleil en acmé   
cet accord profond avec le Monde   
notre franchise immémoriale.   

  
411

la quête de l’Esprit

   Au creux de l'âme   
dans l'ombre du vertige   
se glisse le paradoxe,   
oiseau cambré devant l'appel.   
  
Franchir nos limites,    
rassembler les bleds,   
graines en instance d'émergence,   
offrandes d'Apollon. 
    
D'un côté l'autre de l'espace   
les étoiles se rassemblent et s'opposent   
si vivement que les pensées   
prolongent nos rêves.   
   
De gré à gré au firmament   
passent les nuages,   
alternance syncopée en fond d'univers,   
effraction dans la teneur du chant. 
    
Sur l'acrotère du temple   
les anges acrobates   
orientent leur miroir   
vers la Source originelle. 
            
Ensemble, geignent   
les monstres de nos entrailles   
écornant les ficelles sociétales   
de l'entendement.   
  
Marche lente,   
au fronton de nos approches   
demeure la mandorle invariante   
éloignant l'air vicié des attachements.     
 
Se lovent au sérail de notre imaginaire   
les ordres de la commanderie,   
effort consenti   
à défaire les liens de la discorde.     
 
Lumière infrangible de février,   
la besace pleine de renoncules   
déverse ses mémoires d'au-delà   
sans explication ressentie.     

  
409

le pourvoyeur des songes

   Un œil derrière l'arbre   
à crocs et museau frémissants,   
le loup s'épanouit   
en rase campagne. 
    
 Évaluant l'espace   
il fend la prairie   
vers le replat d'avant talus,   
le pourvoyeur des songes. 
    
A mi-carême   
repu il dort,   
fricassée de poissons   
en mémoire des jours passés. 
    
Bas sur l'horizon   
fenêtres ouvertes   
le soleil flamboie,   
traces des gens de bien.   
  
La ruine attenante   
en son écrin de framboisiers   
tresse l'aventure   
adresse des petites mains volantes. 
    
Filage du temps   
en remontant le cercle des saisons   
les pleurs se font rares   
quand vient l'absence.   
  
Tout lui ressemble   
dans cette grande chambre   
qu'honore l'armoire grinçante   
aux vieilles fripes odorantes.   
  
Passe et nous reviens   
au village des sabots ferrés   
place de l'église   
la tourte de pain brûlante.   
  
Voyageur en chemin   
été venu   
croque les baies arbustives   
en souvenir de cette vie.   
  

408
  


    

La présence à ce qui s'advient