au bistrot de brion

   Au bistrot de Brion   
il n'y a plus de mégots   
juste des bouquins   
et des mets aux herbes du Cézallier. 
    
La pièce est sombre   
l'agencement de bric et de broc   
laisse entrer la lumière   
par les fenêtres basses.   
  
Dehors   
entre l'ortie et la berce   
la table à pédale   
reçoit la liqueur.   

  
508

la rose de mai

   Elle s'est glissée   
de lumière ceinte   
entre la pierre et le métal  
du fenestron rugueux.      

Fêlure de l'accueil   
jointive pensée   
la rose abhorre   
la sortie de scène.      

Elle est entrée   
de l'univers    
en l'appendice   
d'un toucher doux.      

Elle est trait du Souffle   
écarquillement   
sans larme   
sur le féminin de la flamme.      

Transparente   
biche endormie   
elle éclot 
elle dispose.


   
505

Messaline endormie

 Messaline endormie   
 au sein des symphonies   
 la muse lierre de fards parée   
 énucle la face grise de l'ennui.  
    
 Au son des cymbales et des olifants   
 le cavalier de Trencavel   
 éclaire d'une épée de feu   
 la meute qui le dévore.  
    
 Ici point de lanterne   
 point de carabistouilles   
 au gré des passions   
 juste quelque oracle inaugural.  
          
 Demeure le petit homme   
 aux callunes assujetti   
 aimé des dieux  
 à l'immense tendresse   
 destiné à prendre son envol.   
   
 Petit homme   
 petite femme   
 tournent l'horloge   
 pendulant leurs vérités   
 sociales et planétaires   
 à l'ombre d'une vie d’exil.  
    
 Dans cette inextricable toile   
 des meurtris venus à terme   
 rien à dire   
 hormis le silence.     

    ( Céramique de Martine Cuenat ) 

  504

en lisière de forêt

   En lisière de forêt   
la vie   
la vie secourable   
la vie en offrande   
la vie giboyeuse en amitiés   
la vie qui se faufile et que rien n'arrête      
Un carré de verdure   
où poser ses pas   
une échancrure si fragile   
que le regard même   
trace les courbes de l'avenir      
Une flaque d'eau      
D'avoir marcher   
devant soi   
vers la nuit   
libère l'espoir   
de ses convenances      
Reste un sillon de lumière   
où béance tenante   
choir   
sans retour arrière   
sans pomme de discorde   
une corne de tendresse en plein cœur. 

    
503
(sculpture de Martine  Cuenat)

Larmes de pluie en godille

 Le chien courait   
 sur le chemin  des bergères 
 entre les fougères accoutumées.    
 
 Navré de devoir frapper   
 un si bel homme   
 à la carotide.  
    
 Maman devant   
 s'était éloignée   
 en simulation d'être pressée de rentrer.

 La pluie se fit cinglante   
 et piquait le visage   
 une brume nous recouvrait.      
 
 La marée était montante   
 on entendait le ressac   
 frapper les dalles de granite. 
     
 La jetée était déserte   
 un marin dans sa petite embarcation   
 godillait ferme   
 vers un cargo   
 ancré entre les jetées du port.  

       ( peinture de GJCG )
  
502
 

au prolongement du jour

   Au prolongement du jour   
quand la nuit se fait profonde   
où le navigateur tremble   
devant les dangers qui l'assaillent   
il y a cette lumière   
cet oiseau qui annonce la terre   
et le soleil    
quand la connaissance est naissance   
que le jour est amour   
se gonflent les montgolfières   
en ascension gracieuse   
chalumeaux bruyants   
faisant fuir les oiseaux   
comme manne au désert   
quand la faim nous tenaille.      
Mesure-t-on les pas à faire   
affaire de temps   
affaire de regard   
portés en juste place   
jusqu'au soir ? 
    

501
(peinture de Manon Vichy)

Écluses ouvertes

 Vivre la toile recouverte de couleurs   
 dans les deux dimensions   
 de l'une à l'autre   
 les brosses brassent l'air   
 coulures aux lanières gouleyantes   
 les signes éclosent   
 sitôt remis en leur origine.        

 Écluses ouvertes   
 la montée des émotions   
 fait vague unique   
 quand l'étrave saccage   
 l'eau et la berge   
 entre les rangées de platanes   
 au vent sifflant   
 sur les bourgeons à venir.      


  500

Le détachement du poète

 Le poète ne se relit pas   
 Il écrit   
 Il ne revient jamais sur ses pas   
 Il s'éprend de l'agitation des foules.    
  
 Il a compris à la fois tout et rien.         
 Le grand détachement.   
   
 L'expression poétique est peu réfléchie   
 Mais elle réfléchit le monde.   
   
 L'extérieur est un puits de mots   
 De maux m - a - u - x   
 À la source des mots.   
   
 Le poète ne sauve pas l'humanité   
 Il essaye de se sauver   
 Lui  
 En ses contorsions existentielles   
 Qui le font s'ouvrir. 
     
 Le poète est un gyrobroyeur   
 Il est le metteur en  mots   
 Des existences autres    
 Présentes ou passées. 
  
 Il est le vers et le fruit   
 Et le bruit   
 Et le verre et l'eau.

      
  499

le temps n’est pas constitutif

  Le temps n’est pas constitutif d’un quelconque ordre ; ce qu’est par contre l’intuition qui elle est aveugle au temps .

Le temps n’est que le passé et l’éternité . Il est impossible de penser le temps, de saisir le temps . La notion d’ « instant présent » est un oxymoron

Le temps ? Ce montant vertical entre les deux parties de la fenêtre ;  un avant, un après, un tout près, un ressenti gauche / droite, une bipartition, un ailleurs ? La pensée s’exerce à le définir … et le temps file entre nos doigts .

Le temps ne partage ni ne relie ; il  permet un faux dialogue entre deux illusions, il remplit un néant qui fait peur, il permet le bavardage sans que l’après soit évoqué, il fausse la vie, il nous fait appeler « vie » ce qui n’a pas eu le temps d’être, par manquement à la vie, par non acceptation de notre finitude .

Le symbole, lui, est une incarnation de la réalité, de ce qui fait du lien entre le sujet et l’objet .

Il y a quelque chose au delà du sujet et de l’objet ; il y a la résonance de la rencontre, hors temps .

Ce qu’il y a de contradictoire, de naïf, de mutilant entre le sujet et l’objet en relation univoque, dépasse la capacité de parole . Cela exhausse et incite au mouvement et à l’action, ce qui permet de passer à un autre niveau de réalité .

Il est nécessaire de changer son positionnement en interrogeant sans cesse « la manière dont je suis » par rapport au monde . Et si celà ne se peut, s’il y a répétition des mêmes choses : c’est manquer la cible .

De passer d’un niveau de réalité à un autre niveau de réalité ne peut se produire que lors d’un certain état de disponibilité, quand quelque chose nous pénètre secrètement, lors d’une claire observation sans parti pris, d’une méditation, d’un lâcher prise  …

C’est alors qu’un temps nouveau est, l’instantané, le temps qui naît, un temps là, dans la fulgurance de son émergence, un temps d’hier et d’aujourd’hui, un temps hors temps, la plénitude de l’instant, comme si l’éternité se trouvait là, à ce moment, un temps fait d’ailleurs et d’ici, le temps de la rencontre, et qui est bien plus que la somme de ce qui nous convoque et de ce que nous sommes, un temps en élévation qui promeut un autre niveau de conscience, un temps où aller, un temps déjà là, le temps qui n’est pas constitutif, le temps qui néanmoins nous embrase, l’âme alors exhaussée c’est-à-dire animée par le double mouvement de l’accueil et du don de soi rassemblés dans l’embrasement de soi .

191

de saut en saut

   De saut en saut   
de sourire en soupir   
de soupir en sourire   
quoi que l'on fasse   
aujourd'hui fera face à la finitude   
pour demain   
et après-demain   
en débours de quelque nuit d'amour   
~  accueillir le temps qui passe. 
    
Eclose chaque matin   
au chant du merle   
l'aurore nouvelle   
ouvre ses paupières   
pour une journée convoquée   
~  présence à ce qui est.   
  
Remettre la maison en ordre   
nourrir le chat   
aller au marché   
déjeuner avec un ami   
ouvrir un livre   
refermer les pensées    
dans le linge blanc des souvenirs   
~  accord avec ce qui vient.   

  
498

La présence à ce qui s'advient