Se sont rapprochés près du grand hêtre pour effacer les saisons en remontée des ans passés. Assis autour de la souche à contempler la haute ramure ont remisé en souvenirs la sente des sangliers. Puis ont prié pour que revienne la pluie sous le craquelé de la soue bauge des ultimes protections. Se sont enquis de ce que faisaient les dinosaures nos amis à culbuter les grands arbres alors que la plaine immense bruissait des cavalcades d'ombres menées à terme hors les herbages coutumiers. D'horloge point juste l'ombre et la lumière ourdissant au souffle amer l'ordre et la remontrance de nos frères les successeurs ivres de vie à venir et courant sous la futaie vers la clairière ceinte de torchis mettre en saillie la pierre dernière. 536
Se ferme l'opercule du bulot sur le sable aux bulles savonneuses caresse du temps qui passe au creux des vagues lasses valse lente narines dilatées conques marines ahanantes la main effleure la levée des voiles sous la vergue tendue note métallique du piano silence racé sagace errance d'avant la venue de l'ange à la mine chafouine sous la pluie de pétales que le vent éparpille mille baisers à l'encan pour les pigeons de l'automne brasier rassemblant au sortir de l'octroi l'envol clair de ce qui fût. Mourir blanc vivre noir. 535
Sur le front bleu de ton enfance par les passes sombres de la nuit un œil s'est posé petite flaque d'eau salée sur tes lèvres ondulées que le vent pousse frêle caresse à peigner tes cheveux bruns à la base du cou et franchir d'un geste le fond de l'univers .
Ô ma femme aux reins creusés sorcière feinte danse en rond au sacre de l'automne je te hume et me perds au lacis de tes bras et jambes.
Je roule le tapis de prière hors la nuit noire point de faux semblant juste la musique de l'ancien soleil blanc cet amoureux à la colonne vertébrale fécondée. Je calme mes ardeurs sans que se brise l'œuf blanc sur les rails du dogme loin des codages cérébraux au reste peu demandeurs. Je distingue les essences subtiles au milieu des pensées immondes et transforme le vacarme en musique intérieure. Hors la vie quotidienne point de transformateur.
Me dis que la parole poétiquec'est comme la mer giboyeuse de rêves et racleuse de mots lorsqu'elle griffe la côte. Et si c'est de nuit que la foi chancelle et qu'un vent froid brasse l'écume les hurlements des marins en détresse se font entendre dans les criques chapelles ardentes des trépassés. Rare et obstinée présence de cette nécessité du poème révélation quotidienneà ne pas manquer le rendez-vous percée magique des mots de braise dans l'âtre aux éructations aiguisées. Je vous aime ma vie d'humbles existences affublée dentelles du jourque des mirlitons dévorent telles les perles de verre dans la lumière clignée du matin. Ne vous affligez point il est une poupée malmenée de l'enfance abandonnée sur le trottoir que le passant ramasse lambeaux de tendresse écrue transfigurant celui qui la regarde. Les tambours de l'automne ont rassemblé les murmures et claque aux marches de l'univers la vision stellaire des officiants du cercle sacré
que l'amitié révèle en échos. Viens contre l'arbre et le sais par avance que la gerbe des flûtiaux courroucés par la plainte insensée construit le décor de nos retrouvailles naines. 532
Tu entrerais en faisant tinter l'éolyre et le ciel s'ouvrirait. L'écureuil dans l'amandier de branche en branche évoluerait avec agilité. Tu me donnerais des nouvelles de là où tu es pour que nos mains se joignent. Je t'entendrais légère gravir l'escalier très haut jusqu'à l'aube. Tu m'indiquerais le chemin des joies et des peines toi mon aimée. Ton ombre aurait la tendresse des matins de printemps près du canal de notre rencontre. Et si le soleil perce les nuages il y aurait grand gazouillis parmi les peupliers.
Cette joie d'exister d'affirmer de faire naître d'adapter d'exprimer.
Cet acte par lequel exister entre le terme et l'inertie en intégrant les limites le revers de l'existence. L'existence donnée une fois pour toute sans nous prévaloir de la présence est piètre chemin et transformation de la joie en souvenir.
Notre situation ne cesse de changer la présence est en rapport avec les choses existantes et qu'elle demeure à conquérir irréductiblement.
Je muir je muir et ne puis retenir les pleurs de la nuit les nuages en leur course le craquement des coquilles d'œufs l'essence des choses la couleur de l'enfance le miel des estampes le milieu entre deux excès l'inaccompli de la perfection la poigne du destin. Me fait vivre et retiens la générosité de la joie toute mesure à l'unisson visant l'utile par un effort constant par dedans et dehors être ad libitum le plein et le délié l'ambre des mers du nord et le corail des mers du sudchair de nos cœurs. 530
Au suivi des ans il n'est de trace salvatrice que la rupture avec la frilosité de nos habitudes.Par temps de vicissitudes des choses humaines les vainqueurs prennent la place des vaincus et les vaincus la place des vainqueurs. Il n'est d'annonce mémorielle que le pas de côté qui nourrit notre enfance. Passer sur l'autre rive n'évitera pas de tirer des bords pour enfler le désir. Mon bateau est de voiles tendues entre les remous et les coups de vent disposé à cueillir la chair qui défaille. L'œuvre est vie.528
Si belle et douce et calme. Et si profonde aussi. La femme reflète bien plus de choses que l’homme ne peut peut saisir.
L’homme saisit ce qu’il peut. Il saisit pour enfouir. Il saisit les épreuves qu’il traverse et construit en conséquence un monde d’expériences qu’il anime pour ses besoins aux fins d’exister, de se dire qu’il existe, de montrer qu’il existe. Son entêtement à se faire voir, à sortir de l’anonymat, l’oblige à charger le trait de ses représentations, à saillir.
Alors ceux qui restent aux marges du festin développent un manque, une insatisfaction et un ressentiment. La femme, elle, agit avec son corps. Elle est mère des instincts de protection et donne la vie de chair et de mystère. L'avènement de l’être dont elle est matrice marque son territoire et l'immense mémoire des choses vécues. Les souvenirs, elle les laisse à l’homme. Elle n’a que faire des faits de société entendus, remâchés et dont le fumet structure l’histoire. Elle est la terre et c’est dans cette terre que le mystère s’incarne. Elle qui paraît alors être à l’origine de la vie garde en mémoire ce que la vie devient. Elle est aussi la réceptrice des choses d’ailleurs, d’au-delà de notre entendement. Elle est propitiatoire. A la vie à la mort, les gouttes de son sang sont celles de toute l’humanité, elles sont l’effluve grasse de la vie en va-et-vient d’elle-même. Et quant il y a naissance, le goût et les odeurs prennent la suite de l’idée et du concept que l’homme pouvait en avoir. Elle origine, elle reçoit et fabrique le don de soi en accueil du plus grand que soi. Elle consume et détruit l’imagerie qui la précède pour se porter en éclosion devant la main de l’homme. C’est ainsi qu’elle peut se fondre dans notre monde, dans notre société patriarcale. Là, arrivée en expectative d’elle-même elle entre dans un bain de reconnaissance pour autrui, mais à quel prix. Toutefois sa puissance tellurique, sa quête obstinée à manifester le fond des choses la fige et la vision qui l'anime alors l'engage par une posture cataleptique à devenir la proie des loups qui la dévoreront pour l'acquisition de davantage de connaissances.
Elle est la gardienne du seuil, elle attend l'homme qui se souvenant de la tâche à accomplir saura l'engager plus avant sur le chemin vers une parousie d'éternité. Elle stimule l'homme, le pousse à se différencier en l'obligeant à ne plus taguer les murs de ses cités par crainte de se voir effacer. Elle initie l'homme à sa propre grandeur. L’homme n’a de cesse que de posséder la femme, de la contenir dans sa fragilité, de la maintenir sous le joug d’une relation inégalitaire favorable à sa domination, à son plaisir, comme s'il pouvait arriver seul à vaincre ses démons. L’homme a peur. La femme brûle, elle est feu et sa flamme peut monter si haut, que l’homme vibrant quil'accompagne avec respect se souvient ; enfin il se souvient ! L’homme explore ses gouffres par la création, il cherche à donner forme à ce qu’il prend comme une apparition. Il est alors hors de lui. Il jongle avec son imaginaire. Il lui faut donner le change. Il plonge dans un flot récriminatoire d'encombrantes pensées ourdies de cristaux provenant des pleurs de l'aube. Il œuvre, il peint, il fait de la musique, il chante, il est poète, toutes choses qui ne peuvent que contempter le déjà là, le déjà vu, le beau, qu'il offre aux adorateurs du "même". L’homme remplit son logis d’or, de pacotilles, de soieries, de sons et de lumière artificielle pour faire de l’effet en surcroît des pouvoirs vrais de la femme. Pour palier à l'altérité de la femme il crée l’éphémère, le possible, l’illusion. Il bat la campagne jusqu'à plus soif. Il impose à la femme ses propres critères dont ceux de la séduction, d’une forme de beauté qu’il espère voir devenir un principe fondateur, une direction pipée par les jeux de l’amour d’opportunité. L’homme tente de s’ouvrir à la présence, à être davantage dans le réel, au bord du gouffre, de l’insondable, là où se fait le rien, le vide, hors des illusions perdues, lui qui ne peut jouir que du regard de l'autre.
Obstiné dans l'idée de faire ses preuves et d'assumer des responsabilités il évite la source des origines. Il est dans la nuit de l'âme. Loin de lui la pointe de la lucidité. L’homme, ce mal-aimé, se repaît de virtuel en quête d’une représentation de ce qu’il pressent comme réel et ne connaîtra jamais l'autre, l'âme-sœur. L’homme ne se reproduit pas ; il reproduit les conditions de perpétuation de l’espèce en espérant que l’environnement sécuritaire social qui le précède fera le reste jusqu'aux portes du connu.
Dans les marais recouverts de sphaignes sèches, dans les brumes, il entend le chant des femmes, au loin , comme un murmure alors qu'armé d'outils de découpe il se révèle inopérant devantles formes blanches aux multiples dimensions.
A trop savoir, à être constamment à l'affût de vouloir comprendre et juger, il se pourrait que nous installions des leurres et passions à côté du cercle des mystères dans lequel personne ne pénètre.
Que nul n'y entre sans s'être purifié, il se pourrait que nous soyons dévorés.
L'homme doit réintégrer son propre corps et prendre la femme comme initiatrice.