Tous les articles par Gael GERARD

En felouque

Pour peu que la crue persiste   
en felouque toiles tendues   
les roseaux s'inclinant sous le vent   
aurons tôt fait de comprendre   
que ces petits trous de mites   
parsemant la voilure   
étaient les avantages fortuits   
de notre passage sur terre.      
 
Fil à fil   
en bordure de côte   
parvenus par hasard et tard repartis   
avons collé le récépissé de nos actes passés   
sur la planche d'amarrage   
de Sarah à Marie   
les tenancières de la Barbade   
étant de concert astreintes d'écoper   
ces années souricières.      
 
Point de salut   
pour qui s'exhalent   
le long des rives bruissantes   
ces parfums du désert   
alors que hautes terres se précisant   
et qu'à même l'enclos abordé    
mille maux aggraveront l'ordre    
des bifurcations assumées   
et tout ça pour se taire.      
 
 
1062


Nosce te Ipsum

Marraine   
Marie-Fernande un instant déposée   
sur les toits de tuiles plates   
vous me fûtes indiqué   
par le roucoulement des tourterelles.      
 
Gouttes de sang sur le cou de la Vierge   
cordelette laissée pendante   
au creux de la nuit   
vous fûtes lunaison de printemps   
au temps de l'éclosion.      
 
Mêlant le cri des oiseaux   
à la fraîcheur du matin   
bien malin au demeurant   
furent les soldats de leurs souliers ferrés   
montant vers la basilique.      
 
Venant de l'ouest   
griffant de ses mandibules   
le bleu de tes yeux   
vous fûtes rebelle et majuscule   
jusqu'au cloître attenant.      
 
Naine sous la pluie   
l'ombre se détachant   
absurde et mélancolique   
vous furent les chevaliers   
à la lance dure.      
 
Fessue ventrue velue   
à la remontée de mes mains   
claquant des dents   
vous furent pomme d'argent   
devant les murs de la démesure.      
 
Joignant la cognée   
aux ajoncs coupés   
robe verte et joues fraîches   
vous fûtes doline accueillante   
pour l'entrée en journée.      
 
Sertie de pierres précieuses   
cloches en volées gracieuses   
de descendre en glycine   
fût l'heure venue   
d'effacer remords et tourments.      
 
Connais toi toi-même   
et nous connaîtrons le monde   
en marchant trotte-menu   
sur la passerelle aux corps nus   
reflet du poudroiement des étoiles.      
 
 
1061

Le crève-cœur des enfants disparus

N'êtes-vous si tôt venu   
vous le crève-cœur des occasions perdues   
à contempler par la lucarne   
ces dernières lueurs   
celles de nos années advenues     
à consumer   
à consommer   
par le menu.   
 
Il y avait deux mondes   
sur le pourtour du périphérique   
celui des vivants et celui des morts   
dont la frontière   
fossoyait l'inconfort d'un goulot d'étranglement   
prompt d'engendrer
l'instant poétique   
à la fois chair et poussière.      
 
Importe les images   
conjuguer la réalité   
est chose commune   
au sein même des inflexions   
d'un moment notre pain  
de repos fort et beau   
telles trois pièces de monnaie   
effarouchant le dragon de Tombelaine.      
 
Murmures   
à deux   
coulent le visible et l'invisible   
comme paupières du temps qui passe   
garde-barrière se levant   
pour laisser le camion de la raison   
baigner joyeusement le Sens   
d'un horizon disparu.      
 
A jamais le noir   
accompagnera les braises de la vie   
éternel bruit du papier froissé   
illuminant vision et pensée   
dans la doublure d'une veste   
parole biblique élimée   
devant les yeux mouillés   
de la petite fille ma sœur disparue.      
 
A cru   
franchissant la barrière   
une odeur   
une main   
affirmeront haut et court   
la lueur du jour nouveau   
en décalcomanie    
sur le mur de notre enceinte.      
 

1060

Prémices du ciel

Juste un carré d'herbes   
dans la prairie aux jonquilles
pour déposer les cendres   
à l'ombre des nuages   
voyageurs de l'espace   
filant vers leur finitude   
ou leur enflure   
selon destin.      
 
Pour rien au monde   
je n'aurai évacué l'envie   
de me poser là   
assis sur une pierre   
pour pâté saucisson chips et fromages   
accompagner le pain et le vin des occurence.      
 
Assis vous dis-je   
rien que pour l'odeur des fleurs   
noces sur terre   
noces dans le ciel   
pour un programme des festivités sur mesure   
à gauche pour la promenade au Jardin   
un fragment du ciel descendu sur terre   
à droite pour prolonger la vision entrevue de l'Au-delà   
bouquet feuillu de ciel et de terre conjugués.      
 
L'Aigle atteint sa dimension royale   
par la puissance de son vol   
il a rejoint l'Arbre mystique   
pour affirmer le véritable couple   
cette fin de la souffrance   
ce règne de l'entité cosmique.      
 

1058

Mise en conformité

Lieux d'aisance   
lieux de maltraitance   
les hommes de la Bête s'affichaient   
Dieu en tête   
à répandre les larmes et le sang   
des grand-mères et enfants   
au son des canons de la destruction   
passage du temps mauvais   
sur la pelisse de l'amour   
à quand jadis la Joie exultait.      
 
Le pouvoir des Grands   
exige famine et souffrance   
par la soumission des Petits   
à coups de trique   
loin de la nouvelle naissance     
derrière barbelés et miradors   
règne de l'ordre du dragon   
prêt à enflammer la tourbière des origines   
au mépris de sa propre chair   
sans passage par le purgatoire.      
 
Mémoire grande mémoire   
recouvrant de son manteau noir   
les us et coutumes de nos ancêtres   
pour plus d'illusion encore   
mettre aux encoignures de la démesure   
le meurtre et la soumission   
au son du buccin des rencontres    
que la plaine immense absorbe   
vêture d'oublis et de paresse   
au royaume des morts vivants.      
 
 
1054   


Le quinze du quinze

Virent le jour   
puis la nuit puis le jour puis la nuit   
puits sans esprit d'amour et de vertige   
les cônes et bâtonnets de la Vision   
en l'accueil mélodieux   
de ce qui nous abreuve   
Cyclopède et compagnie   
au pas de vis de la Vie.      
 
Pour un mot pour un tout   
la mort fût admise   
comme monnaie courante   
même jointe à la lune   
sous le panache des fumées   
que crachaient par saccades sèches   
les trublions de la sidérurgie   
sur un air de bien entendu.      
 
Les cloques et claques   
des sabots de bois bouchonnés de paille   
arguaient de la neige à déblayer   
aux portes de l'étable   
pour que passage des bovins   
puisse se faire au cas où   
le tombereau sortirait   
chargé d'effluves nocturnes.      
 
Il y avait du paraître dans l'Être   
et du court bouillon dans l'âtre   
quand sur le parquet aux lattes disjointes   
le père se tenant immobile   
la clope au coin des lèvres   
suscitait le passage des anges   
silence propice   
au claquement sec des coups de l'horloge.      
 
Victor s'appelait Jean-Baptiste   
du côté de Verdun   
il s'était couché dans la boue   
le visage maculé les yeux grands ouverts   
sous le ciel bas et lourd   
ponctué par la mitraille   
œuvrant à qui mieux mieux   
dans les boyaux de la tranchée.      
 
Au quinze du quinze   
il y a des fleurs   
qu'un De Profundis d'à propos    
n'en pourrait dire autant   
le vent soufflant sous la porte du grenier   
tel oiseau de faïence pépiant à perdre la raison   
par ces temps de misère   
par ces temps de retour à la guerre.      
 
 
1053

Trésors en plein cœur

Amants de profil    
de subtile manière enlacés
vous fûtes branches à fleurs de printemps
à fleurs de mots
signant d'une geste grave
le bleu d'un ciel délavé
que les ruminants
marmonnent avec détachement.

Sonnailles des moutons
à même la draille paresseuse
pierres de granit traçant limites
entre le tissus des chemins empruntés
et la terre des narcisses
aux élans aromatiques
couronnés par le chant de l'alouette
fleurant bon le regard du pâtre.


Histoire recommencée depuis des lustres
que la mémoire enserre
d'une tresse de cardabelles
aux cintres de l'horizon
considérant le sifflement de l'air
contre les déchirures de la falaise
comme registre récipiendaire
des âmes de passage en terre.


Cil à cil
la paupière s'ouvrit
grave et mélancolique
sous les doigts de l'aube
prompte à décoller le millepatte léger
de sa dalle d'origine
derniers émois d'une énergie
convoquant trésors de pacotille.


1052



Levée du voile

Il était derrière moi   
l'homme de Vitruve   
qui m'accompagne   
à me porter la rose   
la rose si précieuse   
du temps retrouvé.      
 
Pour peu j'allai rejoindre   
ma sœur la maladie   
me fondre dans le décor   
moyen d'entrer en relation   
avec la Relation   
et chose étrange me retrouver là.      
 
Il n'y a plus de Maître   
sur le chemin d'attention   
où présent à ce qui est   
la source jaillir de la montagne   
ourlée par l'éclat   
du minéral des quêtes éternelles.      
 
A contempler le ciel étoilé   
comme un Être qui est Moi   
j'écoute et suis le disciple   
de cette altérité innocente   
mon enfance des cours d'école   
à portée de voix du monde clair.        
 
Et je suis l'Eau   
dans le secret des bulles scintillantes   
frémissantes caresses   
accomplissant sur la roche grenue   
la phrase et le mot   
en prolongement de la berge conductrice.      
 
Et je suis Feu   
j'embrase et disparais   
dans la gerbe d'étincelles   
où tout se sait    
de l'implacable lueur   
au Vide des origines.      
 
Levé de bonne heure   
par vent frisé des premiers chants d'oiseaux   
j'ai partagé les gains de la nuit   
dans l'ombre de la liberté   
pour me fondre en Visage   
et atteindre gratitude.      
 
Eviter cette présence à Soi   
et c'est la Réalité qui se donne   
pour constellation des sens   
faire lien avec l'Incréé   
au Souffle d'une Conscience consciente d'elle-même 
propice au Rien des choses Venues.      
 
 
1051

L’élan de vie

Naine et fragile   
dès sa venue au monde   
elle n'avait d'yeux   
que pour les cieux.      
 
Urgemment disposée   
à la porte des mariages   
elle s'était remise à l'ouvrage   
frappant le carreau de ses doigts.      
 
Le cliquetis faisait se retourner les pèlerins   
comme neige en printemps   
la dentelle s'envolait   
telles cloches de l'instant.      
 
Même prise au dépourvu   
elle dansait les signes de la passion   
en faisant sienne la saisie des rameaux   
que le matin découvrait en clair.      
 
L'espace d'en haut   
renvoyait les couteaux   
lancés à la volée   
contre les murs gris de l'oubli.      
 
L'espace d'en bas   
d'obscurité paré   
ouvrait tout grand    
ses bras branchus.      
 
Le peuple des elfes   
cliqua sur la touche "fin"   
pour frissonnant des ailes   
suivre les variations du Réel.      
 
Libre et insomniaque   
la mère des batailles et des naissances   
évoqua les miasmes de la redite   
dans l'orbe d'un jour nouveau.      
 
Hasta luego   
l'ampélopsis entre les dents   
répandre parfums et chevelure sur les pieds aimés   
fût l'ultime braquage de l'esprit.      
 
 
1050