Pūranga Kāwai: Mars 2019

Écluses ouvertes

 Vivre la toile recouverte de couleurs   
 dans les deux dimensions   
 de l'une à l'autre   
 les brosses brassent l'air   
 coulures aux lanières gouleyantes   
 les signes éclosent   
 sitôt remis en leur origine.        

 Écluses ouvertes   
 la montée des émotions   
 fait vague unique   
 quand l'étrave saccage   
 l'eau et la berge   
 entre les rangées de platanes   
 au vent sifflant   
 sur les bourgeons à venir.      


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Le détachement du poète

 Le poète ne se relit pas   
 Il écrit   
 Il ne revient jamais sur ses pas   
 Il s'éprend de l'agitation des foules.    
  
 Il a compris à la fois tout et rien.         
 Le grand détachement.   
   
 L'expression poétique est peu réfléchie   
 Mais elle réfléchit le monde.   
   
 L'extérieur est un puits de mots   
 De maux m - a - u - x   
 À la source des mots.   
   
 Le poète ne sauve pas l'humanité   
 Il essaye de se sauver   
 Lui  
 En ses contorsions existentielles   
 Qui le font s'ouvrir. 
     
 Le poète est un gyrobroyeur   
 Il est le metteur en  mots   
 Des existences autres    
 Présentes ou passées. 
  
 Il est le vers et le fruit   
 Et le bruit   
 Et le verre et l'eau.

      
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le temps n’est pas constitutif

  Le temps n’est pas constitutif d’un quelconque ordre ; ce qu’est par contre l’intuition qui elle est aveugle au temps .

Le temps n’est que le passé et l’éternité . Il est impossible de penser le temps, de saisir le temps . La notion d’ “instant présentest un oxymoron

Le temps ? Ce montant vertical entre les deux parties de la fenêtreun avant, un après, un tout près, un ressenti gauche / droite, une bipartition, un ailleurs ? La pensée s’exerce à le définiret le temps file entre nos doigts .

Le temps ne partage ni ne relie ; il permet un faux dialogue entre deux illusions, il remplit un néant qui fait peur, il permet le bavardage sans que l’après soit évoqué, il fausse la vie, il nous fait appelerviece qui n’a pas eu le temps d’être, par manquement à la vie, par non acceptation de notre finitude .

Le symbole, tana, est une incarnation de la réalité, de ce qui fait du lien entre le sujet et l’objet .

Il y a quelque chose au delà du sujet et de l’objet ; il y a la résonance de la rencontre, hors temps .

Ce qu’il y a de contradictoire, de naïf, de mutilant entre le sujet et l’objet en relation univoque, dépasse la capacité de parole . Cela exhausse et incite au mouvement et à l’action, ce qui permet de passer à un autre niveau de réalité .

Il est nécessaire de changer son positionnement en interrogeant sans cessela manière dont je suispar rapport au monde . Et si celà ne se peut, s’il y a répétition des mêmes choses : c’est manquer la cible .

De passer d’un niveau de réalité à un autre niveau de réalité ne peut se produire que lors d’un certain état de disponibilité, quand quelque chose nous pénètre secrètement, lors d’une claire observation sans parti pris, d’une méditation, d’un lâcher prise

C’est alors qu’un temps nouveau est, l’instantané, le temps qui naît, un temps là, dans la fulgurance de son émergence, un temps d’hier et d’aujourd’hui, un temps hors temps, la plénitude de l’instant, comme si l’éternité se trouvait là, à ce moment, un temps fait d’ailleurs et d’ici, le temps de la rencontre, et qui est bien plus que la somme de ce qui nous convoque et de ce que nous sommes, un temps en élévation qui promeut un autre niveau de conscience, un temps où aller, un temps déjà là, le temps qui n’est pas constitutif, le temps qui néanmoins nous embrase, l’âme alors exhaussée c’est-à-dire animée par le double mouvement de l’accueil et du don de soi rassemblés dans l’embrasement de soi .

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de saut en saut

   De saut en saut   
de sourire en soupir
de soupir en sourire
quoi que l'on fasse
aujourd'hui fera face à la finitude
pour demain
et après-demain
en débours de quelque nuit d'amour
~ accueillir le temps qui passe.

Eclose chaque matin
au chant du merle
l'aurore nouvelle
ouvre ses paupières
pour une journée convoquée
~ présence à ce qui est.

Remettre la maison en ordre
nourrir le chat
aller au marché
déjeuner avec un ami
ouvrir un livre
refermer les pensées
dans le linge blanc des souvenirs
~ accord avec ce qui vient.


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