Papa tu es là ? Papa t'es là ? Tu as vécu en homme bon et généreux 93 ans en fidélité aux tiens qui te sont chers 93 ans de simplicité de modestie de silence même 93 ans de présence sur notre terre reflet d'un ailleurs bien plus grand que nous 93 ans et puis rien et puis nous ser tes enfants tes petits enfants tes arrières petits-enfants qui formons un microcosme dans ce grand univers un monde en modèle réduit un monde d'êtres en devenir un monde en marche vers l'avenir .
Papa tu es là ici dans nos cœurs en souvenir d'un temps passé ensemble avec plein de moments qui remontent en surface en rupture d'un passé révolu en élévation d'un vécu à fructifier .
Dis Papa où t'es maintenant ? Me revient ce temps où tu allais travailler à bicyclette de Grenelle jusque dans les beaux quartiers et que Maman disait qu'on irait à ta rencontre et que même sans te parler même quand tu retenais tes émotions même quand je comptais sur mes doigts les additions et les soustractions même quand je dessinais un cœur sur la buée du carreau de la rue Saint Charles je t'attendais .
Papa tu n'es plus de ce monde paix à toi en ce lieu éternel . Et il y aura bien un jour où nous aussi nous disparaîtrons et qu'on dira si nous avons été formidables si nous avons été détestables car tout le monde sait com'on fait des bébés mais sait-on com'on fait des papas ! D'avoir remis en marche ton être assoupi en mon cœur rempli de lumière j'exulte de mansuétude et d'amour en reconnaissance de toi mon papa à moi notre papa à nous tes enfants prolongeant par un simple détour d'être aujourd'hui en vie l'obligation de poursuivre notre ouvrage de ne pas craindre d'avancer sur notre chemin . Faire bien faire faire ou se défaire ne réduisons pas le monde à ses aléas et à sa souffrance il s'y passe aussi des choses magnifiques et il serait criminel de banaliser ces choses entrons en relation les uns avec les autres raffermissons nos liens collaborons célébrons gratifions glorifions la beauté pour qu'en cette séparation d'avec toi, Lucien, qui nous rassemble aujourd'hui pour que dans le tragique de la mort commune à nous tous demeurer dans le recueillement demeurer dans le silence demeurer en cet instant de méditation demeurer dans l'amour .
Trois petites bougies et que reviennent le témoignage des heures passées en harmonie le tressaillement des profondeurs de la création la capture du souffle avant son jaillissement la force d'un regard derrière la vitre la présence subtile de l'être éternel la marqueterie des souvenirs éteints la perplexité effarée de l'illusion l'éclat d'une comète à jamais advenue le saisissement de l'apparence le calme des gestes répétés la romance des vieilles chansons échangées l'au-delà des formes en instance de leur accomplissement l'enchanteresse transcendance de l'instant le calme devant cet être-là en partance vers l'ouvert la blessure ressentie au contact d'une brisure de verre le glissement des doigts sur une peau fraîche la tradition perpétuée par les objets reconnus l'expérience sans cesse renouvelée le sable fluide de l'aridité nomade l'éclos dense de la force sédentaire la conquête de la matière en lumière d'être la transparence de l'effusion de l'oeuvre aboutie le lever du rideau devant le soleil la montée en conscience vers le cœur du monde l'intimité de l'être inscrite dans la loi l'évidence des preuves accessibles à l'artiste le brouillage des événements dans la brume rédemptrice la restauration de nos terres intérieures le long et humble travail de défrichage la guerre contre les ombres l'homme de bien en ses instances réparatrices le teint frais de nos visages redevenus sages la musique en ascèse contenue la beauté en grâce d'être universelle .
Être vivant dans la vénération émerveillée du secret se remémorer la trace des humains pour respirer en la seule réalité qui vaille le souffle si fin de la bonne posture la louange faite au quotidien la contemplation d'une simple pierre coloriée.
Bien sûr qu'il eût du couragecet hommede vivre de longues années avec prudencesimplicité et modestieà mener sa barquele long des berges quotidiennessans avoir à demander où allersans voir le temps passeren lente progression vers l'estuaireoù les limites se dérobentoù tout devient grisque la vue s'obscurcitque l'air manqueque l'esprit ne répond plusmais où s'avancetriomphant en ses attentesle mystèrecette lumière incrééecette lumière intense venue de très hautcette béancehabitée de vieilles âmesce frêle esquifdisparaissant dans les brumesce point d'orguese confondant avec l'horizonen souvenir de ce qui va et vientl'espace d'un souffle retenuen souvenir de ce qui fûttraces de ton nom sur le tronc scarifié de l'arbrese retrouver assignéà transformer cette écriture douce amèreen obligation de conscienceen marche sur le chemincompréhension de ce qui estcrépon de la plaie rouverteune fin d'étéà mesure d'un regard échouéà marée bassechez celui dont le cœur demeure dans l'amour.163
Recevoir la viecomme un doncomme un présent.Habiter tous les âges de l'existencel'enfancela jeunessel'âge adultela vieillesse.Se bonifier comme le bon vintrop jeune le vin est acidemûrir est l'oeuvre du temps.Ne pas être obsédé par les stigmates corporelstraces du temps qui passela ride amère n'est que le baiser en continuité d'êtreDemeurer dans la vie et dans l'intelligence.Tous les jours faire des découvertesintellectuelles affectives sentimentalesTous les jours être dans la nouveautéVivre.Ne pas regarder dans l'assiette du voisinne pas être jalouxrester en soià la fenêtre de l'émerveillement.
Croître encore et toujours.Vieillir n'est pas être vieuxvieillir c'est aller dans la vieêtre vieux c'est perdre le goût de la vie.
Etre curieux intellectuellementregarder l'existence comme un enfant sans être un éternel enfantregarder l'existence du point de vue de la jeunesse sans être un éternel adolescent.Aller toujours plus loin.Plus on vit longtemps plus on construit ce reculqui permet d'être làtout en étant déjà ailleurs.D'une seule lampée saisir le poudroiement des chosesavant que la lampe ne s'éteignepour que rives atteintesse dissoudrel'espace d'un sourireau gré du vent qui passedans la lumière du jour qui vient .162