Ce carrelage fait d'hexagones rougis . Cette allée d'arbres bruissante d'un printemps pluvieux . L'escalier à la rambarde de fer forgé . Ce jour par dessous la porte de la chambre qui laisse monter les éclats de voix provenant de la salle du restaurant . Ces fenêtres avec leurs ferrures à l'ancienne . Ce volet de bois mal fixé qui bat contre le mur quant une rafale de vent se lève . Telle l'armoire avec sa vitre miroir d'un temps entreposé .
Adto didto à l'ombre des choses en place assis dans le fauteuil défoncé des entrelacs d'idées mal négociées enturbannant mes pensées souvenirs psalmodiés par une petite voix intérieure je pris mes cliques et mes claques boîte à images et carnet de moleskine pour aller péleriner aux effluves d'antan .
Froidure et pluie métamorphosaient le sombre de l'air en plein après-midi discret passage à cet état d'écoute permettant d'être dispos pierre sur laquelle bâtir la cité des frères Jérusalem céleste sans ses anges rendus visibles Jérusalem juste existante pour accueillir le marcheur d'âmes en quête d'un détour probable vers l'état prémonitoire des repentances en quête de souffle et de lumière sur lesquels chevaucher chercheur rendu à sa besogne l'arceau d'un jeu de croquets alors obsolète devant la maillet de la vacuité le fomentateur des rencontres désirées celles que la disponibilité sans attente permet de faire éclore même au déplié des heures creuses alors que monte d'entre les frênes et les ormes le chant froissé de pluie et de couleurs mêlées au jardin lumineux et parfumé phrasé de pleurs en printemps à la confluence des charges sonores d'une eau rageuse raclant de galets invisibles les marmites de géants .
De l'eau de l'eau à foison assignée au feulement incessant d'un chuchotis animal froissement d'une voix contre la paroi de basalte gouttelettes de perles au diapason d'un son guttural claquement des mains velues contre le roc ensanglanté.
S'élève la monocorde allégeance le faisceau continu la plainte stratifiée des écobuages de la cité .
S'exprime l'alphabet en ses dissonances ces frères dont la pratique artisane fut emportée par la burle vers la vallée des permissivités .
Seul le son d'une cloche par dessus le courant d'eau manœuvre à l'appel les hommes de la magnanerie alors qu'il fait encore noir par ce matin d'hiver à traverser ce pont de bois les sabots frappant de leurs ferrures le seuil de l'atelier .
Heureux événement que l'arrivage des ballots de soie hérissés de mille fils irisés hors la grossière toile de jute à l'arrêt comme hésitante d'entrer dans la goule où le mâche-menu des ferrailles associé au crissement des éraflures gargouillent du lissage des textiles fins . Maraude instantanée du garçon derrière le bâtiment ramassant vivement la musette pleine posée sur le banc poisseux du vestiaire le temps d'un saut dans l'ombre hors du ravin des attendus pour se retrouver ivre libre ang pinitik nga kasingkasing sur la sente caillouteuse hors la promiscuité du bas et haut les cœurs apporter en la chaumière sans feu les noires stries d'un à-jour imprimé sur le pourtour de son visage de châtaignes et d'oignons oings .
Message hors âge des floricoles levées d'esprit des génuflexions lasses sur le chemin des trois croix entre le Golgotha et la finitude de Marie .
Les femmes saintes seules admises à retenir par le bras les mâles de passage para pahiyom ameutés disparaître dans le taillis à la recherche de l'argousier qu'ils feront suinter sur la pierre des fièvres histoire de se mettre en marche sans compte à rebours sur le chemin coquillard .
Les femmes saintes seules admises en progression lente vers l'amour et la compassion chargées des brassées de genêts dorés à la mesure des hautes portes des granges enfouissant sous leurs amples jupes les crânes des trépassés les reins ceints d'une étoffe si rouge que le soleil levant de par son disque iridescent évoque le saint chrême de l'onction du mercredi saint celui des faiseurs de jours pour peu que la mise soit permise sur le suin safrané de la jument grise de maître Cornille ébranlé de plaisir à la vue de cette farine si blanche que le puissant déplacement de la meule pierre contre pierre fait s'envoler au gré des trilles du merle sa kaadlawon d'un matin de mai .
De t’avoir
rencontrée me remplit de joie, toi, différente de moi et pourtant si proche .
Tu m’accompagnes
et me calmes lorsque le temps est à l’orage, que de noires pensées montent de
mes gouffres amers et que mes réparties sont excessives .
Tes fermes colères
que l’on pourrait croire feintes me sont le remu-méninges vibrant et salvateur
lorsqu’atteinte par un assoupissement de l’attention et de l’âme je balbutie de
vagues réponses devant le risque de la nouveauté .
Je t’aime, sans
l’ombre d’un doute, que même notre arrivée conjointe sur une autre planète ne
pourrait nous dispenser d’exprimer notre folle envie en miroir de chercher et
de comprendre à tous propos ce qu’est la vie .
Je t’admire
au-delà de toute considération restrictive, d’une admiration dispose et large,
que même l’envol tardif d’un perdrix devant nos pas ne saurait nous distraire .
Et pourtant Dieu
sait que j’aime les perdrix rouges qui de leur vol lourd et plat pourraient
réveiller dans un sursaut salvateur le dormeur du val que j’ai si souvent
tendance à être .
Devant notre
énergie d’hommes debouts chargés des possibilités de réalisation à venir, la
terre, notre champ d’activité, est si vaste, puissante et fragile à la fois,
sensible, amoureuse et réceptive, qu’il nous arrive même d’entendre le murmure
du commencement des commencements .
Ta parole tournée
vers l’éternelle urgence à énoncer l’essence des choses me permet de poursuivre
mon chemin, délié de toutes entraves, vers le clair ensemencement de mes
jardins les plus profonds .
Tu m’accueilles
avec tant de générosité, de promptitude et de justesse que je n’ai même pas le
temps de te remercier. Dès que je te vois, je suis à l’affût pour te consommer
avec ma tête et mon coeur, et dès que je me consume, dès ce que tu m’offres
pénètre en moi, alors tu disparaîs, alors je fonds .
Tu es mère, grande
soeur, ange et félibrige de mon coeur pour qui l’émoi que je ressens à ton
égard est de suite transformé en “sens” clair et profond au service
de mon engagement de fidélité à ton enseignement. Toi, ma flèche lumineuse .
Et puis je t’ai librement
choisie comme étant mon amie alors qu’on ne choisit pas sa famille .
Et je serais
toujours l’arc pour bander tes pensées réitérées avec force tant il est
impérieux pour toi que nous les prenions en compte. L’état du monde actuel en
dépend .
Ton message passe.
Ta parole est reine. La fluidité de ta vision m’épouse. Les traces que tu
laisses derrière toi, je les recueille au plus fort de mes perceptions et de
mes capacités mentales pour les intégrer le temps d’une communion venue .
Ton visage est
inscrit au profond de mon âme et pour peu qu’un souffle vienne à passer,
aussitôt je me lève pour reprendre ce chant mystérieux qu’au cours d’une de nos
premières rencontres je murmurais et qui depuis toujours m’accompagne lorsque
je croise ta route .
Ton regard signe
les instances de ces lieux de paix et de convocation à la vigilance d’une
attentive flamme de pertinence .
S’il arrive de
nous perdre quelques temps et que je te retrouve, aucun préambule n’est de mise
dans le premier regard que tu me portes. Tu es là, je suis là, corps, âme et
esprit prêts à la tâche qui nous incombe, ce grand oeuvre tissé de chaleur
humaine, d’intentions de bonté et d’exigences de compréhension quant à notre
posture à tenir dans nos temps si troublés .
Et si tu partais en
voyage, sache qu’ici ou ailleurs il y aura de la place pour tes disciples, pour
mes frères et soeurs en toi, afin de perpétuer le feu d’entre les eaux et le
crâne, et nous entretenir de ce qui reste encore à faire .
Et puisque la vie
est quête et pélerinage continu, tu es le bourdon du pélerin, le précieux bâton
qui me soutient et avec lequel je calligraphie dans la poussière du chemin les
lettres sacrées de notre écriture universelle .
Sagesse.Le mot
“sagesse” vient du latin “sapere”, d’où provient également
le mot “saveur”. La sagesse est l’art d’apprécier la saveur. Elle
marque une attitude très concrète, très réelle, et assez éloignée d’une
organisation conceptuelle élaborée. Il s’agit de trouver un art de vivre qui
permette de goûter la saveur de la vie .
Comment ce concept de sagesse se relie à celui, plus occidental,
saphilosophie ; car philosophie veut dire “amour de la sagesse”.
Dans l’Antiquité les philosophes étaient des hommes dont on attendait qu’ils
vivent selon leur philosophie qu’ils enseignaient. Philosopher impliquait une
manière de vivre qui mette en harmonie la pensée et la vie .
Et puis au cours des derniers siècles, en
Occident, la philosophie est devenue l’art de construire des systèmes de
pensée, de les étayer, de les défendre et, dans des “disputationes”,
des discussions, de prouver leur suprématie sur les autres. Dans la Chine classique, un des
foyers de la sagesse du monde, celle-ci était conçue différemment ; ainsi l’on
disait que “le sage est sans idée, sans position, sans nécessité” .
Je pense qu’un sage est un être humain sans
qualité particulière, sans idée déterminée à l’avance, sans position à
défendre, parce qu’il veut rester ouvert sur la réalité, afin d’être frais et
dispos à ce qui s’advient. C’est par cette posture que le sage peut le mieux
refléter celui qui se confie à lui. La sagesse est donc à l’opposé de la
crispation. Elle est proche de la sérénité .
Le sage ne “croit”
pas ; il a la “foi” .
Ang “croyance”vient du latin
“credere” et dans cette famille de mots on trouve notamment en
français “crédulité”, c’est-à-dire une manière de donner son adhésion
à des affirmations que l’on est pas capable de fonder rationnellement. Croire
c’est adhérer à certaines affirmations .
Ang “foi”vient du latin
“fides” et dans la famille des mots issus de cette racine il y a en
latin “confidere”, qui a donné “confiance ” en français. Un
homme de foi n’est pas avant tout un homme qui croit ceci ou cela, mais un homme
habité de l’intérieur par la confiance. Avoir la foi, c’est avoir confiance
dans la réalité ultime quelle qu’elle soit. Nous pouvons être habité par la
confiance et la foi sans véritablement savoir quel est le fond du fond du réel
.
Ne considérons pas la “croyance” comme
une crédulité, mais comme étant d’un autre ordre niveau de conscience que la
“foi .”
Et sur ce chemin, nous sommes toujours en train de
faire le premier pas. Quand nous faisons un pas, nous nous exposons à un
déséquilibre. Nous acceptons un moment de perdre l’équilibre de l’immobilité
jusqu’à retrouver un nouveau point d’équilibre, en remettant le pied par terre.
Alors qu’il n’y a rien de plus rassurant que de rester immobile, avancer un
pied devant l’autre, c’est prendre le risque de trébucher. C’est accepter le
connu pour aller vers l’inconnu, Ug kini, sans savoir à l’avance si cela nous
réserve joie et épreuve. A celui qui se lève et marche, s’ouvrira devant lui un
vaste espace, parce qu’en fonction du cap qu’il se donne – que ce soit la
vérité, le réel ou la sagesse – le “marcheur vrai”ne peut qu’aller de
commencement en commencement par des commencements qui n’ont pas de fin.
Ang “marcheur vrai” est homme de ce
monde. Il ne peut déroger à l’engagement qui au détour de son parcours de vie
le convoquera à rentrer dans une histoire, à s’inscrire dans ce qui s’est fait
ou pas encore fait avant lui et qu’il pressent qu’il faut faire. Il lui faudra
prendre parti. Il lui faudra s’incarner pour contribuer à transformer le monde.
Ang “marcheur vrai” semble aussi en
dehors du monde. Il est en lui-même, pour lui-même, l’objet de sa réalisation
par une voie intérieure. Il est en prise directe avec ce qui le dépasse et
inexorablement avance vers l’innomable et l’innomé. Il donne et reçoit à mesure
du temps qui passe et des rencontres qu’il fait sans prêter particulièrement
attention aux conséquences de ses actes. Il est“présence” sa unsa. Il est en
confiance .
Ang “marcheur vrai” en quête de sa
réalisation se doit de dépasser la contradiction entre“l’engagement” et“l’intériorité”afin de se situer aux
portes du temple où “sagesse” et “kahibalo” sont à la
fois différenciées et réunies. A ce point de son parcours, par un renversement
de perspective animé par la foi, il peut dépasser le niveau de réalité au-delà
duquel notre logique ne fonctionne plus. En effet, ce qui dans notre monde
habituel semble inapproprié, peut apparaître au contraire en consonance, quand
on change de registre, comme un nouveau niveau de réalité .
Il n’y a pas d’opposition entre la recherche de
l’intériorité et l’engagement dans la vie du monde. L’un est presque la
condition pour que l’autre ait une véritable efficacité. Celui qui resterait
presque toujours enfermé sur lui-même dans une espèce de quête sans fond
finirait par se dessécher sur pied car il manquera de l’alimentation de la
relation avec tous les êtres qui l’entourent. Et celui qui s’engagerait dans la
transformation du monde sans prendre le temps d’un retour vers son intériorité
profonde, celui-là au bout d’un moment pourra s’éparpiller, s’émietter, se
disperser, se chosifier .
Il est admis que c’est seulement par l’expérience personnelle que nous pouvons accéder à un peu plus de connaissance .
Mettre dans un
bocal tout le succédané des enseignements ne mène qu’à soumettre à l’épreuve de
la saumure la pureté de la quête en ses préliminaires ; ça chauffe, ça brûle
même, mais jamais ne parviendra à maturité ce chercheur des eaux obscures .
Tu n’attesteras pas de ton appartenance à quoi que ce soit, une joie illusoire pouvant se glisser entre ta parole et l’objet de ta recherche .
Sois vraiment toi. Au passage du gué, il y aura l’épreuve. Alors ne te raconte pas d’histoire. Et même, ayaw pagsulti bisan unsa. Garde le silence. Vois, et tu seras vu .
Si viens à passer le voyageur aux sept chameaux chargés de tapis, sa mga seda, de fourrures de parfums et de pierres précieuses, et que celui-ci veuille acheter tes vieilles chaussures toutes racornies, c’est que ces chaussures n’ont pas toujours été les tiennes et qu’un autre les portera .
Il te reste alors
le chemin, et sois son obligé .
Ne sois plus la victime de ta croyance à être sur le “bon” chemin. Les grandes choses que nous puissions voir le seront par l’entremise des proches personnes qui t’entourent. Ta femme, ton homme, tes enfants, tes amis, tes voisins, te convoqueront à cesser d’être la victime de l’autre pour t’engager sur la voie de n’attendre rien .
Autant parler des pierres, des fleurs et puis des
arbres .
Je leur ai parlé .
Je fais parti de cette confrérie des jardiniers de
la création .
Je sais qu’il faut progresser les mains nues,
oeuvrer dans l’instant, dans l’obéissance à ce qui est, être à l’écoute, et non
pas s’affubler d’outils performants .
Et puis j’ai découvert que la nature parlait, et
en l’écoutant, j’ai découvert le silence intérieur de la communion, de cette
union de soi avec l’autre, que l’autre soit un minéral, un végétal, un être
animal ou humain, ou bien une entité naturelle ou cosmique plus grande que soi
.
Certes la nature ne parle pas français ou
japonais, ni un langage symbolique, mais elle s’exprime par
“résonance”. L’on se met en position d’attente sans attente, de
prière, de contemplation et le cerisier vous raconte une histoire, et le frêne,
une autre histoire, et le hêtre une autre histoire encore .
Avec les chrétiens, à Pâque, on touche le mystère
de la mort : s’il n’y a pas de mort, il n’y a pas de résurrection. Si j’amène
ma petite fille voir l’amande en train de pourrir, je ne lui dis pas :
“Regarde l’amande en train de pourrir”, kadaghanan : “Regarde
l’amandier en train de naître”. Pour l’amande, c’est certainement un
moment terrible, mais cette amande donne la vie. C’est le lâcher-prise,
l’abandon, la confiance .
Les arbres nous donnent à grandir .
Un jour en me promenant, je croisais un pommier,
avec à son pied un petit pommier pas plus haut que trois pommes en train de
pousser. Je levais les yeux et vis une pomme pourrie accrochée au pommier. Je
compris alors qu’il existait deux morts. Cette pomme aimait tellement sa maman
qu’elle n’a pas voulu couper le cordon ombilical et est resté accroché à la
branche où elle a pourri sans donner la vie. Une autre pomme, siya, est tombée.
Elle a pris le risque d’aller voir ailleurs et coupant le cordon ombilical est
tombé à terre ; elle est morte, mais de cette mort est né un pommier .
La nature nous apprend qu’il y a des sauts, des morts, des émondages, des ruptures dans le rythme, une obéissance nécessaire à faire avec confiance afin de retrouver l’acte premier, l’acte créateur .