Un matin de brume

Tension vers l’avant
Des lignes directrices
Dont l’humeur vagabonde
Fait cligner des yeux.

Près de la petite hutte
Par derrière les colonnes
J’ai plaqué les nuages du jour
Sur l’adret des maisons bourgeoises.

Tu avais mis ta chemise à trous
Et ton corps étendu sur la chaussée 
Comme un âne mort
Effritait mes sanglots.

Même les chatons ne revoient pas leur mère
Au gazouillis empoussiéré
Des siestes quotidiennes
Leurs yeux brillent comme cerise fraîche.

Point de plume bleue
Juste le vert et rouge des feux de circulation
Pour vous frôler noble damoiselle
Le cœur en émoi.

Rester coi
À séduire le froid des rails
Quand la dalle résonne
Sous la botte ferrée du grognard.

Tout fuit
Même la couleur des cheveux gris
Ma femme d’encre violette
Recouverte d’un trop de givre.

Tada, figé
Sous le trait d’un merle en colère
J’ai consulté ma montre
Mon trop de vent aux persiennes claquantes.

Je rentrais
Mes forces avaient fui
Je stoppais pour me retourner
Elle ne me reconnut pas.

Autrefois
Les soucis nous occupaient à la veillée
Et maintenant ils nous guérissent
Du mal d’avoir à vivre en automate.

Immense tristesse
Quand perdrons-nous
Le bruit du tram et sa directivité métallique
Sans discourir de la sorte.

Je ne peux être
À grand peine chétif et exigeant
Que le pas de deux
Sur le parquet craquant du salon.

1429

L’arbre qu’on ne coupa jamais

Sur le chemin de la fontaine
Il y a cet arbre qu’on ne coupa jamais.

Et sa souche en prise sur le pas à venir
S’écarte en arrière du piétinement.

La ferrure des roues 
Lui a fait maintes blessures.

Les bêtises du passé
Il les oubliées.

Pour embellir le talus
Il s’est fondu dans la végétation rase.

Au mépris du vulgaire
Il a développé l’amour de la sainteté.

Une douce brise peut le rafraîchir
Pendant qu’il recueille la fiente de l’oiseau.

Ses lèvres s’écartent
Pour exposer le profond de ses entrailles.

Parfois au clair de lune
Grogne le sanglier à la trogne hirsute.

Il n’est ni fou ni sage
Juste le pas-savoir grand chose.

Quelques gouttes d’eau tombées du seau
Font scintiller ses lichens.

Pour qu’il sourit
Il suffit de s’asseoir dans sa corbeille

Parfois un couple s’arrête devant ses bras ouverts
Débordant du désir de s’unir.

Il préserve la vie
Lui le résilient de ce qui précède.
 
Il est en quête de vérité
Comme une bulle d’eau tombant sur l’herbe souple.

Il ne fait pas de bruit
Contraint de préserver ce qui est.

Quand il semble se débarrasser de la nuit
C’est que la rosée l’humecte de baisers.

Jo, l’irrévocable athlète
Il est le chantre de l’irréversibilité et de l’incommunicabilité.

Il est attendu
Et ne pèse pas sur la suite des idées.

Jo, aux sens aigus
Du passage au temps coulis de l’instant.

Lui dire à l’oreille dans les petites feuilles du haut 
Que l’origine est sujette aux transformations imprévues.

Toi, en pleine disponibilité
Toi, le mandala où s’affirment les racines de bien. 

1428

L’art dû de l’amandier

Il était un rameau d’amandier
Pendu à la boutonnière
Pas plus tard qu’hier
Que le pas de l’échanson
Avait fait chanson
Par pure raison.

À l’énoncé du prêchi-prêcha
Avions sorti la tranche de lard
Pour acquis vernaculaire
Que l’occasion propose
Et que le bel Art du bellâtre argumente
Pour plus tard, après demain et tout le train-train.

Faut pas rester là
Faut lester le petit rat
D’un mot-palabre
Havresac pour la balade
Avec rigueur
Et de bonne humeur.

D’enfermer la nature dans une forme
Altère le profond du mystère
Pour ouvrir à l'œuvre esthétique
Que le mandarin récupère
Comme un gros rat exposé à la vindicte populaire
Manière de lever la main le doigt à l’envers.

Plus d’un marin courant la bagatelle
Prend le vent en grippe à la sortie du bouge 
Alors que colombe passée par le fenestron
Augure de céleste manière
Le langage premier de l’homme
La croix et la bannière au milieu du chemin.

Croisant le pèlerin de Compostelle
Plumes bleues et rousses accolées au bourdon
L’oiseau de paradis me dit
Qu’être vivant accorde la métamorphose
Alors que de chevaucher un nuage
Cornemuse de brumes le vrai et le faux.

1427

Sri Chandra Swami est mort

La nouvelle se fît connaître
À l’aune des enfants criant dans la ruelle
Venus joindre les deux bouts à la vie à la mort
Simple opportunité
D’alléguer 
Que puissance et tournicotis 
Font pis que pendre
En nos temps de parodie.

Sri Chandra Swami n’est plus
Et son âme aux Courmettes assignée
Contre la falaise
À grandes enjambées rejointe
Pousse le Silence
En son vagabondage intérieur
Avec sourire et cœur ouvert
Sur la Voie sans retour.

Au culbuto des occasions
Il est de la clarté
La providence assignée
Au Rien du tout venant
Comme de planter la graine
N’effraye ni le temps ni la distraction
Quand l’énergie du haut
Offre la liberté au bas.

Griffes en exergue
Matière enveloppée
Des formes-couleurs de la nature
Entre néant et éternité
Il est une parure
Où l’espace rehaussé de lumière
Conjoint l’ineffable frisson du simple
D’enfourcher la grâce d’être.

1426

Il y a un siècle

Comment dans les souvenirs
Apprendre à circuler
Si le courant vous emporte
La maisonnée dispersée
Le père loin des fils.

Essayer d’attraper au filet
Quelque rêve
À mains nues
Posées sur les genoux
Augure une montée des origines.   

Auguste Genestoux et Léa Bizard se marient
Avec enfants et parents comme suite
Les sombres brumes de la Grande Guerre
Imposant les recompositions familiales
Pour construire un foyer.

Le montage en pyramide
Scellait pour l’occasion
La propension d’exister
Des deux clans se rencontrant
Dans la cour de ferme du mieux loti.

Au buisson ardent de la célébration
Il sera naturel d’adjoindre
Les herbes folles de la liberté
Pour calquer sur la vie à nouveau bourdonnante
Le sceau de la résurrection printanière.

Fleure bon
La senteur des champs
Ces ancêtres soumis à haut équipage
Chantres d’éternité
Au passage des générations.

1425

Ne pas en rire

Ne pas en rire
Et si nous n’arrêtons pas de rire
Nos rires ne feront que tourner en rond
Jusqu’au blanc des justifications
Jusqu’à dépasser les soucis de ce monde.

La souche est là
Comme une vieille dame 
Qui aurait perdu sa chemise
Et qu’on ne pourrait jamais rattraper
Car trop sauvage et bien trop solitaire.

Quand aux fruits de la passion
Mettons-les comme provisions
Pour cet ours en hiver
Hibernant plus que de raison
Sur le palier de la maison.

Promise à la mort
Comme tous les vivants
Sereine et vêtue de plumes 
Par pleine lune
La vie vague est magie seulement.

Le tortillon égosillard
De notre langue
Simple et souvent vernaculaire
Épouse sans arrière pensée
Le florilège des mots de liberté.

Et quand vaque la mariée 
Au retour de l’été
Il est bien aise de découvrir la Perle
Cette précieuse chose innée
Au fond du corps choyé.

1424

L’enfant troglodyte

Suintements d’entre les côtes
Est apparu l’enfant du monde
Le bel enfant de l’œuf
Sujet des vastes plaines
Qu’il décida de visiter.

Tombèrent les fleurs
La poussière même fût grand océan
Ouvrant béante la porte du milieu
Décidé à vivre
Au carré d’as de la femme aimée.

Le partage était inégal
Les royaumes esquivaient la meute enragée
Agressives bestioles logées à l’enseigne de misère 
Faisant entendre l’arrachée
Des chairs sur les os de la décision.

Les mânes reçues le matin
Nourrissaient corbeaux et chouettes
Et l’Infini repu fermait les déserts
Alors que la petite troglodyte
Faisait son nid dans le sein d'une mère.

Et Dieu
De se départir
Des flèches et des pierres
Qui ne pouvaient l’atteindre
Dans le lieu élevé des illusions partagées.

Les vieillards rodaient
Caparaçonnés d’or
Aux beaux cheveux blancs
À broder le tout savoir
Sur les filles printanières.

1423

Et les femmes et les hommes

Et les femmes
À l’encontre des usages
Dames âgées
Jeunes nymphettes
Reprenaient en chœur la chanson de Blanche-Neige.

Et les hommes
Satrapes en queue de pie
Hommes très mûrs
Jeunes coquelets
À parader de nuit devant les bouges obscurs.

Le soleil se levait
Pour le poème 
Vous prendrez bien un bain d’orange
Avec petite fenêtre parcimonieuse
Pour imaginer un monde dépoussiéré.

Le troupeau a été mené
En vagues occipitales
Un savant de passage 
Ayant prononcé discours
Comme un gazouillis de fleurs d’été.

Sur les charbons ardents
Cervelles étendues à même la braise
Avons conquis le jour qui dérive
Jusqu’à toucher le fond
Du premier distique de l’élégante élégie.

Le riz s’est accumulé 
Les mûriers se sont accrochés aux murs
Les enfants ont ramassé leurs billes
Au loin mille ans de vie se découpaient
Devant le sourire de la géhenne.

1422

Le quartz rose du roc à travailler

Étrange lettre ratée
De la légende arthurienne
Il hoquetait du bec
Quelque chanson triste
En rupture des hautes sphères de la connaissance.

Se creuser un puits
Attendre que la mer fasse miroir
Sur l’écritoire des longues nuits
À force de frotter la roche
Convoque la pensée graduelle et subite.

Connaître la couleur de l’âme
À même des cauris que l’on lance
Rend l’aveugle-né apte au soucis premier
Du désir-attachement
Propre au bain matutinal.

Quel bonhomme aurait acquis pareille sagesse
Là, en pensée piratée
Au plus calme du détail oublié
Ces traces de pas d’oiseau sur le sable 
Pour inscrire l’instant ultime où le rideau tombe.

Rire avec la poésie
Au soleil de minuit
Loin des contraintes tonales
Rend le scribouillard à taille de guêpe 
Apte à saisir lune seulette.

Ne mêlons pas l’ondulation de l’écrit ancien
Avec la pure mélodie de l’instinct
Soufflons les ridules de l’eau jusqu’à la côte
Abordons l’œil ouvert du bon côté
Le quartz rose du roc à travailler.


1421

En avant !

En avant
Quelque soit l’un de l’autre
La parure des errants
Posée en la Lumière
Celui qui suit la Voie est toujours seul.

Cette compagne lointaine
Au cœur énamouré
Savait en Sa Présence
Manier les choses 
En dehors de leur apparence.

Nulle hirondelle
Ne pouvait trouver intense mélancolie
Si ce n’est l’ombre du phœnix bleu
Plaqué tout là-haut
Aux cintres de la voûte.

Le même visage
Essayant d’oublier qu’il a un corps
Parsème l’azur du dedans
À grande occasion de boire dans ses mains
La peccadille d’un sursaut de l’âme.

Ayant à rendre belles
Les nues de la journée
Elle avait pour calebasse
Le claquement du vent dans la coupée
À même le cœur et ses humeurs.

Une erreur à la bonne heure
Un tenon carré dans une mortaise ronde
Rend la faute supportable
Pour qui ceint de l’épice
Franchit l’à-pic de la connaissance.

1420