Archívy kategórie: októbra 2013

Sylvain dare d’art

 J’avais laissé Nadia chez des voisins qui habitaient en haut du lotissement et j’étais arrivé à la clinique juste pour te voir naître. Posé sur la poitrine de ta maman, tu respirais difficilement, le ventre gonflé par une grosse tumeur maligne accrochée à la colonne vertébrale.

Ta vie commençait.

Tu avais trois ou quatre ans. Cela se passait dans l’allée séparant notre bâtiment d’habitation des garages de la rue Nicolas Nicole. Tu avançais en balancier avec tes petits tréteaux de bois à bout de bras. Ton corps était rigidifié par un plâtre qui te recouvrait des pieds au thorax. Tu souriais, toi le grand Bédé comme je t’appelais, et tu m’incitais à reculer encore un peu pour me montrer comme tu marchais bien. Et je te prenais dans les bras et te soulevais.

Tu étais venu nous voir à Marcillat. Nous avions été te chercher à l’aéroport de Clermont-Ferrand en provenance de Marseille. Tu m’avais offert cette sculpture en terre émaillée, une lourde boule avec une noire excavationincitation à aller fouiller plus avant le profond des choses non dites, et des aspérités pour se défendre d’éventuels prédateurs. J’ai pris cet objet comme un symbole de ta souffrance que tu gérais vaille que vaille et me demandais de partager. Depuis lors cette boule m’accompagne comme lien entre toi et moi. Tu avais vingt ans.

Forêt de Tronçais dans l’Allier. Je t’avais déposé en fauteuil dans une large allée magnifiée par de hautes futaies. Nous avions fait plusieurs centaines de mètres puis je suis parti devant en te laissant seul comme tu me l’avais suggéré. En revenant sur mes pastu n’étais plus là ! Je t’ai appelé pendant de longues minutes. Tu ne répondais pas. Inquiet, je t’ai cherché pour enfin t’apercevoir immobile dans un petit chemin non loin de là. Il y eut un long silence. Des odeurs d’humus dansaient tout autour de nous. Le vent dialoguait par un nappage d’effluves successives. Nous nous sommes tenus par la main dans le drapé des choses ressenties. J’ai su dès lors que nous étions du même bord, des frères, un père et son fils, en écoute et accueil à ce qui est.

De ces dernières années me reviennent les longs échanges téléphoniques que nous avions, toi mon fils Sylvain et moi papa Gaël comme tu m’appelais. Il était question de ce que tu vivais dans le moment et de certains flashs du passé que tu évoquais avec gourmandise. Que de bons souvenirs. J’entends encore ta voix lourde et traînante de ces longues nuits. Il n’y avait jamais de phrases toutes faites. Tu étais en recherche d’expression pour que précisément et clairement le parler dise l’essentiel. Et si parfois certains mots dépassaient ta pensée pour se retrouver en équilibre instable entre la beauté et le non sens par rapport à ce qui précédait, c’était pour la bonne cause, celle de l’innovation par rapport à là où tu en étais, toi l’esthète de ce qui s’advient. Et tu étais comme ça, souvent en avant, toi qui physiquement ne marchait pas. Je me souviens de certains thèmes qui revenaient dans nos conversations tels que ceux de la création, de la posture de l’artiste mais aussi de l’amitié et de l’amourl’amour des corps, l’amour des êtres. Tu aimais les gens. Tu te plaignais rarement et c’était toujours moi qui abrégeait la conversation qui aurait pu durer des heures et des heures.

Et si tu es parti dans cette nuit du 18 au 19 octobre, c’est pour échapper à ta condition physique d’homme souffrant dont la santé ne faisait qu’empirer, mais c’est aussi pour poursuivre ton œuvre dans l’au-delà d’ici, toi le chercheur d’absolu et de vérité missionné par une force bien plus forte que toi, un appel impérieux que tu pressentais. Tu étais amusé, curieux, intéressé par les sujets que je pouvais évoquer, sujets ayant trait à l’esthétique, à la psychologie et à la spiritualité. Tu avais un humour parfois circonstancié, parfois ravageur, toi le dandy charmeur qui cultivait le bon mot à bon escient et jamais pour faire mal. Toi l’amoureux de la vie en désespoir de ce corps qui te faisait tant souffrir, ton regard perçant aux yeux en amande et ton sourire un rien ironique me clouaient sur la porte des granges pour entrevoir ton âme au travail vers la rédemption de ceux qui étrangement normaux dans leur conformité ne vivaient pas.

D’âme à âme tu es à mes côtés. Quand tu as été délivré de ta tunique de peau c’était quelques heures après le coup de fil que nous t’avions passé afin que tu sois associé aux obsèques de ton grand’père.

Un dernier mot : “pardon”. Sache que je te demande pardon de ne pas avoir été plus souvent présent.

Au revoir Grand Bédé, môj syn, Sylvain .

171

Mon papa il est mort

 Mon papa il est mort
 et ne peux retenir mon chagrin.
 Le chapelet des souvenirs ensemble
 s'égrène dans l'insomnie .

 Le petit garçon du grenier
 range ses capsules et ses coureurs du tour de France. 

 The " gargote " des lessives de l'enfance
 n'est plus que vasque rouillée
 " Frugères - mes amours " se fripe dans les brumes
 d'un regard d'automne .

 Un jour nouveau va se lever
 la toile d'araignée parée de perles de rosée.

 Les pas faisant grincer le plancher
 sont le dernier passage de ta présence .

 Nous ne retournerons plus les crêpes
 accompagnés des cris joyeux du petit dernier .

 Le vol des oies sauvages
 ne sera plus attendu comme la première fois.

 The " quatre chevaux " Renault
 ne sera plus coiffée de nos vélos .
 
La trompette se sera tue
 derrière la porte de la chambre  .

 Une page est tournée
 il y a maintenant la vie .

 Faites chauffer le végétal et le minéral dans le four
 pour que s'élèvent les cierges de l'essentiel .

 Passer le gué se mérite
 pour que la vulnérabilité advienne .

 Saisissons le moignon de la mémoire
 et que sans hâte le tiroir se referme .

 Devenons esprit léger et lumineux
 pour que mains jointes cela soit .

 Sage et ouvert à ce qui vient
 soyons les passeurs de beauté .

 Carrément offert à ce qui est soyons la gorge 
et la langue des nourritures nouvelles .

 Chantons dans le vent frais du printemps
 l'andante d'un souffle libre .

 Accueillons le cœur dispos
 les énergies d'un monde au mystère éclos .

 Passeur de temps et oiseau de vérité
 c'est à vous que je m'adresse .

 Ceux qui suivent, mes enfants ,
 faisons se dévider notre pelote de vie et marchons  .

 Sans crainte, le cœur ceint de la joie des justes
 soyons la paille et le grain des moissons à venir  .


 170 

quand la pensée s’élève

La pièce était chaleureuse. Un tapis couleur rouille était posé sur le plancher. Nous avions retiré nos chaussures. Mon frère et moi avions conçu cette construction de bois et d’espace. Il y avait de multiples compartiments.

Les personnages ont vite trouvé leurs places. Certains se sont regroupés en phratries et d’autres en couples. Je me suis retrouvée seule je ne sais plus pourquoi. Un vent léger a traversé la pièce. C’est alors que je survolais villes et campagnes. Assis sur une hauteur j’ai contemplé notre oeuvre. Tout était là. Et il fallait cet éloignement pour me rendre compte que ma vie était inscrite comme à l’avance, là devant moi. Je pensais alors à ce qu’il pourrait m’arriver. Aussi pour que je puisse pénétrer et concevoir tout ça il fallait que j’en connaisse la cause. Et je cherchais, et je cherchais, … jusqu’à m’entendre dire ces mots qui me semblaient être soufflés par un esprit mystérieux. … Il me causait. … Cela était si simplement exprimé et si évident que je pris le temps d’inscrire ces quelques phrases.

Prendre soin de nos parents

avoir de la compassion

se soutenir les uns les autres

profiter de la vie

être joyeux, agréable, heureux

être spontané et naturel en amour

être détaché, le plus possible, des liaisons et des biens

être généreux

avoir une conduite éthique

produire l’action juste

prendre soin les uns des autres

gérer ses émotions

percevoir constamment les états de notre esprit

et quand la pensée s’élève

envoyer ce message à nos enfants .

169

philosopher en éduquant

L’éducation des adultes .

Vivre dans le présent .

Apprivoiser la mort .

Regarder d’en haut .

Etre créateur de cultures .

Vivre en conscience le processus de connaissance : perceptionsensationpensée (image, idée) – attachementreproductionaboutissant au plaisir ou à la frustration donc à la souffrance, d’où la nécessité d’un travail sur la souffrance .

Exercer lavision pénétrante”, perception instantanée de ce qui est .

Se situer dans la joie d’être au monde, dans ladialogiqueentre les savoirs pluriels et la connaissance expérientielle de soi, une dialogique sans fin, sans prévoir le but et les aléas .

Contrer le repli sur soi .

Etre dans un juste rapport au cosmos .

Etre citoyen du monde .

Etre sage, régler sa manière de penser, être au service des autres, être une partie du monde .

Regarder le monde comme si on le voyait pour la première fois .

Etre dans une attitude de non-savoir .

Savoir que la philosophie s’efface devant l’activité de philosopher .

Porter un regard lucide sur la nature de la pensée .

Faire naître chez les autres lepenser par soi-même ” .

Etre dans le dialogue et l’ajustement créateur à l’autre .

Etre le dépositaire de toute la réflexion qui s’est faite dans le passé .

Etre conscient, cohérent et rationnel .

Etre humble devant ce qui se dit ou s’écrit .

Devant le langage se demander ce qu’il veut dire, ce qu’il doit dire et ce qu’il peut dire .

Etre tolérant et défendre la liberté de penser .

Pénétrer le sentiment océanique en se comportant tel René Char pour qui : ” A chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d’avenir ” .

168

Qu’est-ce donc vraiment ?

 Je ne sais qui m'a mis au monde
 ni ce qu'est ce monde
 ni qui je suis .

 Je vois ces années-lumière qui m'entourent
 et me trouve coit
 en un point de cette immensité
 sans savoir pourquoi je me trouve ici plutôt qu'ailleurs .

 Je ne sais pourquoi ce peu de temps qui m'est donné de vivre
 se trouve ici à mes pieds
 enchâssé de toute éternité
 dans ce qui m'a précédé
 et dans ce qui me suivra .

 Je ne vois qu'infinités
 de toutes parts
 comme poussière virevoltante dans le rai de soleil
 comme forme effacée par la forme qui suit .

 Ce que je sais
 c'est que je dois mourir
 mais ce que j'ignore
 est cette mort même que je ne saurais éviter
 et qui me convoque à la vie
 tel l'enfant prodigue
 dans les bras du père
 dans ce monde de mystère
 où l'anfractuosité des promesses
 nous convoque à être ce que nous avons toujours été
 dans la chambre nuptiale des commencements
 l'ombre de ton ombre
 ma destinée .


 167 

le tissage du psychologique et du spirituel

L’être humain est ternaire. Il est corps, psychisme et esprit.

Le corps, c’est ce qu’on voit de nous, il est faible et périssable.

Le psychique est l’étage intermédiaire. Il est le mouvement, l’émotionnel et le mental. Il est fluctuant. On ne peut pas construire sur lui. Le psychologique déblaie des choses. Il écarte des obstacles et peut rendre disponible à des éléments de connaissance de soi mais pas à notre éveil, à cet état de bien-être et d’unification avec ce qui est, à l’ultime accomplissement dans le mystère insondable de ce qui nous anime au plus profond de notre être, cet élan, cetteviriditéen marche, tel que le conçoit Hildegarde de Bingen.

L’esprit ou fine pointe de l’âme, ou le coeur, est ce qui est proche et communique avec les mondes supérieurs. L’esprit se reconnaît à ce qu’il est indestructible. Il est immense, clair et joyeux.

L’être humain est semblable à une lampe à huile dont le corps de la lampe, l’huile et la mêche seraient ses trois étages. Le corps serait l’objet en terre cuite de la lampe, le contenant fragile et nécessaire sans quoi ne s’enclencherait pas le processus de croissance de soi. Le psychique ou psychologique serait l’huile, métaphore du mouvement, des émotions, des richesses et de la beauté de l’être, de ce qui nourrit. La mèche serait l’esprit, le lieu même qui peut s’enflammer au feu divin.

Toutes ces composantes forment l’être humain en recherche d’harmonie avec toutefois une hiérarchie entre elles, la mèche spirituelle étant le summun de notre quête.

L’esprit est ce lieu étendu jusqu’à l’infini, cette lumière, cette joie qui domine les intempéries de l’existence et toutes les douleurs de l’être pour l’orienter vers sa réalisation.

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( Texte librement inspiré de Jacqueline Kelen )