Science de l'écorché des choses et des formes en l'aparté de ce qui se dit et se comprend en distinction simple la vie par morceaux de chants et de cris en dissonance les peaux d'une seule pièce sur la table des démonstrations l'occupation de toutes les anfractuosités sous l'écorce de bouleau aux signes cunéiformes sans l'once d'un espace de liberté tout est à couvert sous les tirs conjugués des explications livres ouverts feuilletés au vent des retables éclatés par cette soif de connaissance .
Vision de la ronde éternelle cercle contre cercle sur le sable hors du temps que la mer effacera de son écume les chevaux seront lâchés sur la grève le claquement des vagues et des lanières sur leurs flancs à vif de multiples flammes écloses élevées en salve de lumières appelant le soleil perception sphérique de ce qui est de ce qui a été et sera un pas juste un pas et puis le tourbillon savamment orchestré par ces preneurs d'otages aptes à déformer le son des olifants alors que si peu sont les adorateurs d'un soleil terminal .
Union des paradoxes hors cités ceintes de puissantes murailles l'homme et la femme en leur rencontre entreprennent avec sérénité de leurs mains jointes le départ de ce qui menace et croît l'appel de la lueur ultime le cutané à disposition de l'aube blanche aux diffractions du prisme de l'entendement il n'est de pouvoir que celui de la dissolution des arpèges au saint des saints de l'esprit hors enclavement de toute parole vers la parole muette.
J’avais laissé Nadia chez des voisins qui habitaient en haut du
lotissement et j’étais arrivé à la clinique juste pour te voir naître. Posé sur
la poitrine de ta maman, tu respirais difficilement, le ventre gonflé par une
grosse tumeur maligne accrochée à la colonne vertébrale.
Ta vie commençait.
Tu avais trois ou quatre ans. Cela se passait dans
l’allée séparant notre bâtiment d’habitation des garages de la rue Nicolas
Nicole. Tu avançais en balancier avec tes petits tréteaux de bois à bout de
bras. Ton corps était rigidifié par un plâtre qui te recouvrait des pieds au
thorax. Tu souriais, toi le grand Bédé comme je t’appelais, et tu m’incitais à
reculer encore un peu pour me montrer comme tu marchais bien. Et je te prenais
dans les bras et te soulevais.
Tu étais venu nous voir à Marcillat. Nous avions
été te chercher à l’aéroport de Clermont-Ferrand en provenance de Marseille. Tu
m’avais offert cette sculpture en terre émaillée, une lourde boule avec une
noire excavation – incitation à aller fouiller plus avant le profond des choses
non dites, et des aspérités pour se défendre d’éventuels prédateurs. J’ai pris
cet objet comme un symbole de ta souffrance que tu gérais vaille que vaille et
me demandais de partager. Depuis lors cette boule m’accompagne comme lien entre
toi et moi. Tu avais vingt ans.
Forêt de Tronçais dans l’Allier. Je t’avais déposé
en fauteuil dans une large allée magnifiée par de hautes futaies. Nous avions
fait plusieurs centaines de mètres puis je suis parti devant en te laissant
seul comme tu me l’avais suggéré. En revenant sur mes pas … tu n’étais plus
là ! Je t’ai appelé pendant de longues minutes. Tu ne répondais pas. Inquiet,
je t’ai cherché pour enfin t’apercevoir immobile dans un petit chemin non loin
de là. Il y eut un long silence. Des odeurs d’humus dansaient tout autour
de nous. Le vent dialoguait par un nappage d’effluves successives. Nous nous
sommes tenus par la main dans le drapé des choses ressenties. J’ai su dès lors
que nous étions du même bord, des frères, un père et son fils, en écoute et
accueil à ce qui est.
De ces dernières années me reviennent les longs
échanges téléphoniques que nous avions, toi mon fils Sylvain et moi papa Gaël
comme tu m’appelais. Il était question de ce que tu vivais dans le moment et de
certains flashs du passé que tu évoquais avec gourmandise. Que de bons
souvenirs. J’entends encore ta voix lourde et traînante de ces longues nuits.
Il n’y avait jamais de phrases toutes faites. Tu étais en recherche
d’expression pour que précisément et clairement le parler dise l’essentiel. Et
si parfois certains mots dépassaient ta pensée pour se retrouver en équilibre
instable entre la beauté et le non sens par rapport à ce qui précédait, c’était
pour la bonne cause, celle de l’innovation par rapport à là où tu en étais, toi
l’esthète de ce qui s’advient. Et tu étais comme ça, souvent en avant, toi qui
physiquement ne marchait pas. Je me souviens de certains thèmes qui revenaient
dans nos conversations tels que ceux de la création, de la posture de l’artiste
mais aussi de l’amitié et de l’amour – l’amour des corps, l’amour des êtres. Tu
aimais les gens. Tu te plaignais rarement et c’était toujours moi qui abrégeait
la conversation qui aurait pu durer des heures et des heures.
Et si tu es parti dans cette nuit du 18 au 19
oktober, c’est pour échapper à ta condition physique d’homme souffrant dont la
santé ne faisait qu’empirer, mais c’est aussi pour poursuivre ton œuvre dans
l’au-delà d’ici, toi le chercheur d’absolu et de vérité missionné par une force
bien plus forte que toi, un appel impérieux que tu pressentais. Tu étais amusé,
curieux, intéressé par les sujets que je pouvais évoquer, sujets ayant trait à
l’esthétique, à la psychologie et à la spiritualité. Tu avais un humour parfois
circonstancié, parfois ravageur, toi le dandy charmeur qui cultivait le bon mot
à bon escient et jamais pour faire mal. Toi l’amoureux de la vie en désespoir
de ce corps qui te faisait tant souffrir, ton regard perçant aux yeux en amande
et ton sourire un rien ironique me clouaient sur la porte des granges pour
entrevoir ton âme au travail vers la rédemption de ceux qui étrangement normaux
dans leur conformité ne vivaient pas.
D’âme à âme tu es à mes côtés. Quand tu as été
délivré de ta tunique de peau c’était quelques heures après le coup de fil que
nous t’avions passé afin que tu sois associé aux obsèques de ton grand’père.
Un dernier mot : “pardon”. Sache que je
te demande pardon de ne pas avoir été plus souvent présent.
Mon papa il est mortet ne peux retenir mon chagrin.Le chapelet des souvenirs ensembles'égrène dans l'insomnie .Le petit garçon du grenierrange ses capsules et ses coureurs du tour de France. La " gargote " des lessives de l'enfancen'est plus que vasque rouillée" Frugères - mes amours " se fripe dans les brumesd'un regard d'automne .Un jour nouveau va se leverla toile d'araignée parée de perles de rosée.Les pas faisant grincer le planchersont le dernier passage de ta présence .Nous ne retournerons plus les crêpesaccompagnés des cris joyeux du petit dernier .Le vol des oies sauvagesne sera plus attendu comme la première fois.La " quatre chevaux " Renaultne sera plus coiffée de nos vélos .La trompette se sera tuederrière la porte de la chambre .Une page est tournéeil y a maintenant la vie .Faites chauffer le végétal et le minéral dans le fourpour que s'élèvent les cierges de l'essentiel .Passer le gué se méritepour que la vulnérabilité advienne .Saisissons le moignon de la mémoireet que sans hâte le tiroir se referme .Devenons esprit léger et lumineuxpour que mains jointes cela soit .Sage et ouvert à ce qui vientsoyons les passeurs de beauté .Carrément offert à ce qui estsoyons la gorgeet la langue des nourritures nouvelles .Chantons dans le vent frais du printempsl'andante d'un souffle libre .Accueillons le cœur disposles énergies d'un monde au mystère éclos .Passeur de temps et oiseau de véritéc'est à vous que je m'adresse .Ceux qui suivent, mes enfants ,faisons se dévider notre pelote de vie et marchons .Sans crainte, le cœur ceint de la joie des justessoyons la paille et le grain des moissons à venir .170
La pièce était
chaleureuse. Un tapis couleur rouille était posé sur le plancher. Nous avions
retiré nos chaussures. Mon frère et moi avions conçu cette construction de bois
et d’espace. Il y avait de multiples compartiments.
Les personnages
ont vite trouvé leurs places. Certains se sont regroupés en phratries et
d’autres en couples. Je me suis retrouvée seule je ne sais plus pourquoi. Un
vent léger a traversé la pièce. C’est alors que je survolais villes et
campagnes. Assis sur une hauteur j’ai contemplé notre oeuvre. Tout était là. Et
il fallait cet éloignement pour me rendre compte que ma vie était inscrite
comme à l’avance, là devant moi. Je pensais alors à ce qu’il pourrait
m’arriver. Aussi pour que je puisse pénétrer et concevoir tout ça il fallait
que j’en connaisse la cause. Et je cherchais, et je cherchais, … jusqu’à
m’entendre dire ces mots qui me semblaient être soufflés par un esprit
mystérieux. … Il me causait. … Cela était si simplement exprimé et si
évident que je pris le temps d’inscrire ces quelques phrases.
Prendre soin de nos parents
avoir de la compassion
se soutenir les uns les autres
profiter de la vie
être joyeux, agréable, heureux
être spontané et naturel en amour
être détaché, le plus possible, des liaisons et des biens
Vivre en
conscience le processus de connaissance : perception – sensation – pensée
(image, idée) – attachement – reproduction ; aboutissant au plaisir ou à
la frustration donc à la souffrance, d’où la nécessité d’un travail sur la
souffrance .
Exercer la
“vision pénétrante”, perception instantanée de ce qui est .
Se situer dans
la joie d’être au monde, dans la ” dialogique ” entre les savoirs
pluriels et la connaissance expérientielle de soi, une dialogique sans fin,
sans prévoir le but et les aléas .
Contrer le repli
sur soi .
Etre dans un
juste rapport au cosmos .
Etre citoyen du
monde .
Etre sage,
régler sa manière de penser, être au service des autres, être une partie du
monde .
Regarder le
monde comme si on le voyait pour la première fois .
Etre dans une
attitude de non-savoir .
Savoir que la
philosophie s’efface devant l’activité de philosopher .
Porter un regard
lucide sur la nature de la pensée .
Faire naître
chez les autres le ” penser par soi-même ” .
Etre dans le
dialogue et l’ajustement créateur à l’autre .
Etre le
dépositaire de toute la réflexion qui s’est faite dans le passé .
Etre conscient,
cohérent et rationnel .
Etre humble
devant ce qui se dit ou s’écrit .
Devant le
langage se demander ce qu’il veut dire, ce qu’il doit dire et ce qu’il peut
dire .
Etre tolérant et
défendre la liberté de penser .
Pénétrer le sentiment océanique en se comportant tel René Char pour qui : ” A chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d’avenir ” .
Je ne sais qui m'a mis au mondeni ce qu'est ce mondeni qui je suis .Je vois ces années-lumière qui m'entourentet me trouve coiten un point de cette immensitésans savoir pourquoi je me trouve ici plutôt qu'ailleurs .Je ne sais pourquoi ce peu de temps qui m'est donné de vivrese trouve ici à mes piedsenchâssé de toute éternitédans ce qui m'a précédéet dans ce qui me suivra .Je ne vois qu'infinitésde toutes partscomme poussière virevoltante dans le rai de soleilcomme forme effacée par la forme qui suit .Ce que je saisc'est que je dois mourirmais ce que j'ignoreest cette mort même que je ne saurais éviteret qui me convoque à la vietel l'enfant prodiguedans les bras du pèredans ce monde de mystèreoù l'anfractuosité des promessesnous convoque à être ce que nous avons toujours étédans la chambre nuptiale des commencementsl'ombre de ton ombrema destinée .167
L’être humain est ternaire. Il est corps, psychisme et esprit.
Le corps, c’est ce qu’on voit de nous, il est
faible et périssable.
Le psychique est l’étage intermédiaire. Il est le
mouvement, l’émotionnel et le mental. Il est fluctuant. On ne peut pas construire
sur lui. Le psychologique déblaie des choses. Il écarte des obstacles et peut
rendre disponible à des éléments de connaissance de soi mais pas à notre éveil,
à cet état de bien-être et d’unification avec ce qui est, à l’ultime
accomplissement dans le mystère insondable de ce qui nous anime au plus profond
de notre être, cet élan, cette “viridité” en marche, tel que le
conçoit Hildegarde de Bingen.
L’esprit ou fine pointe de l’âme, ou le coeur, est
ce qui est proche et communique avec les mondes supérieurs. L’esprit se
reconnaît à ce qu’il est indestructible. Il est immense, clair et joyeux.
L’être humain est semblable à une lampe à huile
dont le corps de la lampe, l’huile et la mêche seraient ses trois étages. Le
corps serait l’objet en terre cuite de la lampe, le contenant fragile et
nécessaire sans quoi ne s’enclencherait pas le processus de croissance de soi.
Le psychique ou psychologique serait l’huile, métaphore du mouvement, des
émotions, des richesses et de la beauté de l’être, de ce qui nourrit. La mèche
serait l’esprit, le lieu même qui peut s’enflammer au feu divin.
Toutes ces composantes forment l’être humain en
recherche d’harmonie avec toutefois une hiérarchie entre elles, la mèche
spirituelle étant le summun de notre quête.
L’esprit est ce lieu étendu jusqu’à l’infini,
cette lumière, cette joie qui domine les intempéries de l’existence et toutes
les douleurs de l’être pour l’orienter vers sa réalisation.
Papa tu es là ? Papa t'es là ? Tu as vécu en homme bon et généreux 93 ans en fidélité aux tiens qui te sont chers 93 ans de simplicité de modestie de silence même 93 ans de présence sur notre terre reflet d'un ailleurs bien plus grand que nous 93 ans et puis rien et puis nous là tes enfants tes petits enfants tes arrières petits-enfants qui formons un microcosme dans ce grand univers un monde en modèle réduit un monde d'êtres en devenir un monde en marche vers l'avenir .
Papa tu es là ici dans nos cœurs en souvenir d'un temps passé ensemble avec plein de moments qui remontent en surface en rupture d'un passé révolu en élévation d'un vécu à fructifier .
Dis Papa où t'es maintenant ? Me revient ce temps où tu allais travailler à bicyclette de Grenelle jusque dans les beaux quartiers et que Maman disait qu'on irait à ta rencontre et que même sans te parler même quand tu retenais tes émotions même quand je comptais sur mes doigts les additions et les soustractions même quand je dessinais un cœur sur la buée du carreau de la rue Saint Charles je t'attendais .
Papa tu n'es plus de ce monde paix à toi en ce lieu éternel . Et il y aura bien un jour où nous aussi nous disparaîtrons et qu'on dira si nous avons été formidables si nous avons été détestables car tout le monde sait com'on fait des bébés mais sait-on com'on fait des papas ! D'avoir remis en marche ton être assoupi en mon cœur rempli de lumière j'exulte de mansuétude et d'amour en reconnaissance de toi mon papa à moi notre papa à nous tes enfants prolongeant par un simple détour d'être aujourd'hui en vie l'obligation de poursuivre notre ouvrage de ne pas craindre d'avancer sur notre chemin . Faire bien faire faire ou se défaire ne réduisons pas le monde à ses aléas et à sa souffrance il s'y passe aussi des choses magnifiques et il serait criminel de banaliser ces choses entrons en relation les uns avec les autres raffermissons nos liens collaborons célébrons gratifions glorifions la beauté pour qu'en cette séparation d'avec toi, Lucien, qui nous rassemble aujourd'hui pour que dans le tragique de la mort commune à nous tous demeurer dans le recueillement demeurer dans le silence demeurer en cet instant de méditation demeurer dans l'amour .
Trois petites bougies et que reviennent le témoignage des heures passées en harmonie le tressaillement des profondeurs de la création la capture du souffle avant son jaillissement la force d'un regard derrière la vitre la présence subtile de l'être éternel la marqueterie des souvenirs éteints la perplexité effarée de l'illusion l'éclat d'une comète à jamais advenue le saisissement de l'apparence le calme des gestes répétés la romance des vieilles chansons échangées l'au-delà des formes en instance de leur accomplissement l'enchanteresse transcendance de l'instant le calme devant cet être-là en partance vers l'ouvert la blessure ressentie au contact d'une brisure de verre le glissement des doigts sur une peau fraîche la tradition perpétuée par les objets reconnus l'expérience sans cesse renouvelée le sable fluide de l'aridité nomade l'éclos dense de la force sédentaire la conquête de la matière en lumière d'être la transparence de l'effusion de l'oeuvre aboutie le lever du rideau devant le soleil la montée en conscience vers le cœur du monde l'intimité de l'être inscrite dans la loi l'évidence des preuves accessibles à l'artiste le brouillage des événements dans la brume rédemptrice la restauration de nos terres intérieures le long et humble travail de défrichage la guerre contre les ombres l'homme de bien en ses instances réparatrices le teint frais de nos visages redevenus sages la musique en ascèse contenue la beauté en grâce d'être universelle .
Être vivant dans la vénération émerveillée du secret se remémorer la trace des humains pour respirer en la seule réalité qui vaille le souffle si fin de la bonne posture la louange faite au quotidien la contemplation d'une simple pierre coloriée.
Bien sûr qu'il eût du couragecet hommede vivre de longues années avec prudencesimplicité et modestieà mener sa barquele long des berges quotidiennessans avoir à demander où allersans voir le temps passeren lente progression vers l'estuaireoù les limites se dérobentoù tout devient grisque la vue s'obscurcitque l'air manqueque l'esprit ne répond plusmais où s'avancetriomphant en ses attentesle mystèrecette lumière incrééecette lumière intense venue de très hautcette béancehabitée de vieilles âmesce frêle esquifdisparaissant dans les brumesce point d'orguese confondant avec l'horizonen souvenir de ce qui va et vientl'espace d'un souffle retenuen souvenir de ce qui fûttraces de ton nom sur le tronc scarifié de l'arbrese retrouver assignéà transformer cette écriture douce amèreen obligation de conscienceen marche sur le chemincompréhension de ce qui estcrépon de la plaie rouverteune fin d'étéà mesure d'un regard échouéà marée bassechez celui dont le cœur demeure dans l'amour.163