Category Archives: Mars 2020

Un oiseau dans le noir

 

Un oiseau dans le noir
a battu des ailes
comme on danse
et ça faisait le matin avant l'aube.

Puis les ramenant le long du corps
il s'est immobilisé
et ça faisait comme s'il était empaillé.

Puis a bougé sa tête
vers la gauche
puis vers la droite
et ça faisait comme un automate
celui qui sonne l'heure dans nos grandes églises.
Puis s'est mis en boule
et ça faisait comme un poing fermé.

Et en ouvrant largement ses ailes
il a occupé tout l'espace
pour prendre son envol.

Jusqu'au noir absolu.



574



Dis papa, qu’est-ce qu’un poète ?

 

C'est le père qui se lève la nuit
pour rassurer l'enfant.

C'est la fleur qui dans son vase
crée l'eau de sa soif.

C'est l'au-delà de dire oui
c'est dire je t'attends.

C'est l'insomniaque qui accueille la nuit
sans les soupçons du jour.

C'est l'ordre métonymique
sous le parapluie de l'oubli.

C'est l'ombre portée des souvenirs
par un temps clair d'été.

C'est au coude à coude de la joie
le silence de la rencontre.

C'est aller vers l'étranger
quand tout concorde au repli.

C'est monter sur une chaise
faire le pitre en place publique.

C'est marier le chanvre et la souris
dans le creux de sa main.

C'est se jeter à l'eau
quand passe la vision.

C'est la roue qui tourne
quand craque le cerneau.

C'est le chant qui monte
telle la flamme dans l'âtre.

C'est le papier froissé
que la corbeille accueille sans remords.

C'est la goutte d'eau
qui zigzague sur la vitre embuée.

C'est écouter la parole de l'autre
sans battre des ailes.

C'est faire silence
quand le tumulte de l'échange croît.

C'est protéger le petit mot de rien du tout
qui sort frissonnant d'on ne sait d'où.

C'est cueillir la pomme
sans qu'on vous y oblige.

C'est marcher tout droit
vers l'orage de la déraison.

C'est revenir sur ses pas
lorsqu'il y a rien à voir.

C'est tendre la main
pour recevoir l'encre d'écriture.



573



L’invisible

 


L'UN visible

Vis
et Tremble
l'Invisible
unique visible
innommé
rendu inopérant
par la multitude des visibles.

L'écharpe au cou du promeneur
promeut le vent froid
en périphérie du corps chaud
l'écharpe drape les clôtures de l'âme.

L'écharde rend vive la douleur
elle pique une fois
et ne nous apprend rien.

Que nenni
ne m'eût été donnée
cette mise en scène
dans l'invisible
méticuleusement strangulé par la peur
la loi obligeant
l'invisible
à se terrer loin des contrées de l'esprit
à n'être que l'en-deçà des choses dites
alors qu'en prébende
il offre le vide
au bord duquel
le visible joue aux osselets.

La gomme efface le palimpseste des mémoires
pour sans se retourner
laisser à nos pieds
la petite herbe folle
écarter les lèvres du Mystère
seule réalité dans le rêve
seule partie du rêve
conduisant à défaire le rêve.

Ma sève
l'UN visible.



572




En guérison d’amour

 

Son regard s'envole
par delà la lisière
sa voix de chèvrefeuille m'éveille
caresse de ses tresses
s'enflent au liant de l'ombre
quelques lampées de brume.

Hölderlin revient sur ses pas
d'une veste à grandes basques vêtu
perruque plaquée
en montant le perron
les talons de ses bottines
claquent sur la dalle.

Des mains se tendent
sous l'ombre des charmes
viennent les enfants de la ville
gambadant s'esclaffant
de banc en banc
jusqu'au saut de l'ange.

Franche cavalcade
de fer et de feu mêlés
sous un ciel d'orage
s'avance le sceptre des arrogances
flegme apparent
de notre séparation.

Échappés par la coursive
reflétant les vasques endormies
les farfadets de l'oubli enjambent la clôture
vaste espace en déclivité
vers l'arbre mémoriel
de nos joutes en jeunesse.

Le matin
tout est dit
de l'abécédaire des contritions
aux remontrances désuètes
en remontant la contre-allée
nous toucherons à dame.

J'entrerai
de façon unie vers elle
par la voie des mots
en douceur
la fleur de sel aux commissures
en guérison d'amour.


571



Larmes et moire

 

D'avoir dans les tiroirs
larmes et moire
comme on va
au carmel
prières déployées
par l'offre d'abondance
où dansent les Érinyes
là-bas au Golgotha
a plus d'un tour dans son sac
le gars aux arpèges
de neige et de briques pilées
science ou sagesse
à contenance égale
partir dans un rire
marcher sur le névé
enjamber le nid d'aigle
plume virevoltante
visionnaire vers le pont de planches
au poteau cerclé de joncs
le sphinx
mandoline à la ligne
même lune à la une
en fond de mine
à rouler les wagonnets
aux doigts des fées couturières.
 
 
571

Houppelande sur la steppe

 

Houppelande sur la steppe
de poussière en ornières
les traces claquent
telle des prières
aux lampées de vent
sans que se retournent
les oubliés du soleil
les rôdeurs de nuages
sur le cuir des marcheurs d'absolu
le signe d'amour
de nuits, caréné
vortex des siphons
les anges abondent
en ces contrées de mission
au vestibule
les envols de mains
élèvent la mèche
au front des incantations
à mesure des perles de sueur
reflétant les murs porteurs
de la ville d'acier des confinés
aux parois piquetées
par le sable du désert
vertèbres équarries
du vieil ordre
d'avant la dernière nuit.


570



Miss Monde

 

Avec quelques brins de paille aux pieds
Miss Monde est sortie de la favela
hors des fourches caudines
pour engendrer une chanson.
 
De mon corps
la joie épanouie
aux patères de l'entrée
un arriéré mal appris
bonheur en plumes d'oie
sans se retourner
en sirotant le quart d'heure
à demeure des nuages du bonheur
en compassion
des petits hommes
aux gros sacs bistres sur le dos
gravissant la pente
les pages de mon âge tournent
du passereau au corbeau
s'inscrit l'échafaudée des choses de l'esprit
sous la véranda
une marionnette affalée sur le sofa
le chapeau couleur d'ambre
oscillant au rythme du cri des enfants
au loin les brumes matinales se déchirent
le chat miaule.
 
 
569
 

Pieds nus dans la poussière

 

Pieds nus
dans la poussière du sentier
nous pûmes les rejoindre
compagnons de disette
près de la croix de fer.

La maison était là
blanche en bout de village
à l'orée de la Lande.

Là-haut dans la lumière
volaient les esprits
sous l'archer des violons.

les bourgeons du printemps
claquaient en s'ouvrant
rythmique des doigts de l'artiste.

Nos yeux de porcelaine
rougissaient
à mesure de l'avancée du nuage.

Des voix s'élevaient
vibrionnantes de notes claires
sous le joug étincelant
des heures absolues.

Main dans la main
les générations se succédaient
parées de longues robes blanches.

Je reconnus grand'père Victor et son bâton
l'œillet de poète entre les dents
grand'mère Marie et sa vivacité
puis marraine Fernande pince-mi pince-moi.

Les cloches sonnaient
la nuée s'ouvrit
et vîmes poindre
le félibrige à l'œuf bleu.

Mon âme
ma singulière enfance
tu prospères dans la foule éternelle
mes frères et sœurs rassemblés
dans le drapé des pérégrinations
dans le monde intermédiaire
où naît et meurt
le grand soulagement.

Ce lundi il y avait monde au foirail
de bouses et de biaudes bleues
sous les bérets durcis
la cigarette au coin des lèvres
à deviser
à se claquer les mains
marché conclu.


568

L’amour, le sentiment essentiel

 

L'amour
Ce sentiment essentiel
le sentiment qui donne du sens
le sentiment qui donne LE sens.

L'amour est ouverture
il est le gladiateur de l'univers
son arène est le face-à-face avec l'événement
et le sable de l'arène, la sueur de nos efforts.

L'amour gambade dans les prairies de la liberté
il passe par ici, il passera par là
le jour lui fait clin d'œil de toute éternité
et la nuit volée de passereaux en goguette.

S'il ouvre sa veste
ce n'est pas pour vendre son cœur
ce n'est pas de tendresse qu'il s'abreuve
c'est pour offrir son sein à l'âme errante.

Il n'est pas le maître des clés
pour peu qu'on le supplie de venir en aide
il est là, sans hâte, sans raison,
le placide travailleur de l'Esprit.

Il a juste besoin de nous
que notre regard se retourne
pour voir au fond de nos souffrances
l'aube mélodieuse de la confiance qu'on s'octroie.

Sa place est partout
dans toutes les chaumières
près de l'âtre en hiver
près des cerisiers en fleurs au printemps.

Son nom véritable est ÂME POUR TOUS
et le pourtour des enceintes qui le ceignent
autant n'initiations à franchir
dans le silence de l'abandon.

Amour des eaux lustrales
je te hèle au cours de mon voyage
pour recouvrer les pas perdus de l'enfance
sous le couvert des grands arbres de l'allée d'Allagnat.

Puisse l'amour en dépouillement de ses oripeaux
être la dent, le coutelas, l'épée de justice
au service de nos épousailles avec le Très Haut
dans le miroir aux fractales de notre quête.


567



Le tigre

 

Je suis le tigre de personne
j'hante les halliers de l'imaginaire
je peux être l'animal totem.

Je fais irruption sans prévenir
je suis le tigre
je suis à l'affût de vos moindres mouvements.

Je suis rien
rien que le jour qui point
rien qu'un regard de mars posé à la fenêtre.

Je suis le père
je suis le fils
je suis l'ombre de moi-même.

" Mais quel rapport à-t-il avec la réalité ? "
reflètent les gens de bien
les gens de la fine pointe de l'âme.

Je suis l'arc-en-ciel
qui diffracte et relie
je suis le pur cristal aux mille facettes.

Comme vous d'ailleurs
et si cela vous apporte
qu'importe.

Ne laissons pas filer le sens
entre les doigts des vaillants
des nettoyeurs de l'ordre.

Soyons de mèche
avec le plus petit que soi
avec la perfection.

Je n'accompagne pas
je suis le mouvement
et vous êtes le mouvement.

Vous et moi sommes le même
notre séparation apparente n'est qu'ironie
notre unité est pleine.

le tigre n'est pas la souffrance
il est surprise jaillissante
il est joie libératrice.

Et si quelque lien le soudoie
sa morsure claquemure les mauvais esprits
dans la cage du chat de Schrödinger.


566